Verum non fato ut solent mulieres sed cogitate deliberateque &c.
Je n'ay pas fait comme les femmes folles
Qui sans viser aux vertus ou prudence
Se habandonnent pour les belles parolles
A aucuns gorriers remplis d'oultrecuidance
Et se dient nobles plains de vaillance
Trop plus de dit que de fait sont remplis
Guisgardus n'est point de leur aliance
Ou monde n'a homme plus aconplis
Quod a te michi de ignobilitate &c.
Il est noble de bonnes meurs remply
Loial segret des parfaictz le meilleur
Jamés homme ne fut si acomply
Pour bien garder de sa dame l'honneur
A ses causes luy ay donné mon cueur
Je luy donne avecques lui mourra
Je ne voudrois avoir autre seigneur
En desplaise qui deplere voudra
Vides te non guisgardum sed fortunam accusare &c.
Se fortune en departant ses biens
Folle aveugle les depart aux indignes
Et que les bons et vertueux n'aient riens
Pas ne s'ensuit que les bons soient mains dignes
Ou mains nobles que ceux qui par faux signes
Sophistiqués semblent estre loyaux
Tel a souvent la charge de cuisines
Qui plus sage est que ung riche damoiseau
Certum est omnes homines ab uno homine originem habuisse &c.
N'avons nous pas tous prins commencement
Originel de adam le premier homme
On ne treuve que vertu seulement
Qui les humains face pour toute somme
Entre eux avoir difference car comme
Entendre puis par euvres de vertu
Que ung chascun parfait & bien consomme
Est ung homme noble dit et tenu
Intueare igitur tancrede nobiles tuos &c.
Se tu as bien reviré ta maison
Et regardé tous ceulx qui dedans sont
Et de ung chascun la conversacion
Vie et estat et quelles meurs ilz ont
Tu verras bien qu'en rien n'aprocheront
Des grans vertus de guisgardus sans faulte
Comme le jour contre la nuit luiront
Ses merites par excellence haulte
Equidem de guisgardi virtute
Ce qui plus m'a induicte a esprouver
De guisgardus les louables vertus
Est pour ce que te l'ay ouy louer
Par plusieurs fois & que cher l'as tenus
Cil n'eust esté pas vers toy bienvenus
Qui guisgardus eust appellé villain
Vituperer on ne doit jamés plus
Ce que l'on a loué au soir et main
Atque si inopem dicis &c.
Et quant tu dis qu'il est povre et chetif
Cela tourne a ton grant deshonneur
Car attendu qu'il estoit tresactif
De toy servir loyaulment de bon cueur
Tu le devois promouvoir a honneur
Et lui donner pour son salaire office
Noble prince tant plus est grant seigneur
Doit a ses gens pourveoir de benefice
Ce neantmoins povreté ne pourroit
La noblesse d'ung homme exterminer
Mais les euvres bien empescher pourroit
Qui n'a cherge ne peut bien expleter
Telz ont esté povres qui sans doubté
Ont puis esté nobles princes & roys
Les histoires sans cy les reciter
En sont plaines comme clerement voys
Finablement tu as dit que de moy
N'as pas encor conclud ce que dois faire
De ce ne soyes en soucy ne esmoy
Je te diray bien ce que auras a faire
Car se tu as en pancé de defaire
Mon doulx amy guisgard je te prie
Que sur mon corps il te plaise parfaire
La cruaulté de ta grant felonnie
Je l'ay requis et prié de complaire
A mon vouloir/ il ne m'a pas requise
Pourtant raison est que je le compere
Et que absolz soit cil que tant ayme & prise
Jamés ne m'eust pour le fait d'amours requise
Se les moyens je ne lui eusse ouvers
Il m'a pleu et fait tout a ma guise
Cil feroit mal qui lui seroit pervers
Las je luy fis assavoir par escript
Qu'il descendist par le trou du caveau
Et qu'il venist par devers moy de nuyt
De cuir boulli qu'il fist faire ung manteau
Le gracieux et loyal jouvenceau
Tous mes vouloirs acomplit sans desdire
En plusieurs poins le prouve bien & beau
Avant qu'il sceust que je luy voulois dire
Veruntamen inopia generositatem non tollit &c.
Quant fut venu je lui fis remonstrance
Que tu me amoys trop peu en une chose
Car supposé que j'eusse abundance
De biens mondains me failloit autre chose
Tu m'as tenue comme recluse & close
Mal diligent de moy avantager
Pourtant je dy contre toy et propose
Que matiere n'as de me ledanger
Quod autem extremo loco &c.
Je dy oultre pour mon loyal amant
Qu'il n'a rien fait qui soit reprehensible
Je l'ay contraint d'estre amy et servant
Seur et segret : il a esté ductible
Doulx & begnin jamés ne fut nuysible
Ains pour l'onneur de ta maison veillant
Trop as esté en ton fait deceptible
De avoir cherchié ce que a veoir est nuisant
Delinquendi causa atque principium fui
Se tu n'eusses nostre fait descouvert
Et regardé par moyens inhumains
A tousjoursmés il eust esté couvert
Sages amours plaisent a gens humains
Ce qui estoit secret et incertains
Sans macule mettre aucune en ta gloire
As descouvert : tu as fait que villains
Privé de sens rempli de fol memoire
Equidem nec penam &c.
Quant tu auras les corps des deux amans
De vie privés transitoire & mortelle
Pas n'en auras les cueurs qui adherens
Sont ensemble par maniere nouvelle
Car se il advient que ta cruaulté vueille
Livrer a mort mon gracieux amy
Ne vueille dieu que je vive aprés seule
Mourir pour vray me fauldra quant & luy
Sensit magnitudinem animi tancredus
Quant la fille eu ce au pere expliqué
Il contempla sa vertu & constance
A ses objectz n'a dit ne repliqué
Chose qui soit. ains de partir se avance
Bien proposa que a sa fille nuysance
Ne mal de corps ne feroit pour le cas
De guisgardus proposa sans doubtance
Faire une fin dont par aprés dist l'as
Comment tancredus fist occire
le loyal amoureux guisgard
et commanda que on luy aportast
son cueur
Non tamen estimavit ad extremum &c.
Pas n'eust jugé que sa fille eust voulu
Executer ce qu'elle disoit de bouche
Il commanda si tost qu'il fut venu
Que on estranglast l'amoureux sans reproche
Cest guisgardus qui ne dit ne a touche
Chose qui soit deplaisant a personne
Puis commanda que on luy tire & aproche
Le loial cueur du corps. ainsi l'ordonne
Comment tancredus fist mettre
le cueur de l'amoureux dedans
une couppe d'or et l'envoya a
sa fille la belle sigismonde
Tancredus patera aurea &c.
Quant tancredus tint le cueur de l'amant
En coupe d'or commanda qu'il fust mis
Puis l'envoia par ung segret servant
A sa fille qui telz motz luy a dis
Vostre pere m'a cy vers vous transmis
Le quel par moy ce present vous envoye
Pour que prenés confort c'est mon avis
En la chose qui plus vous donne joye
At sigismunda firmo parendi proposito &c.
Sigismonde qui ja ferme propos
Deliberé avoit de soy deffaire
S'il avenoit que la dure atropos
Son doux amy meist a mort trescontraire
Sy tost qu'elle vit son pere hors de l'ere
De sa chambre cuillit herbes mortelles
Pour qu'elle peust d'icelles le just boire
Et les couloit quant ouyt les nouvelles
Comment sigismonde receut la
coupe d'or ou estoit le cueur
de son loyal amy guisgard et
la responce qu'elle fist au serviteur
Ad quam postquam patera est delata &c.
Sigismunde la coupe d'or receut
Puis descouvrit le present trespiteux
De son amy le cueur bien aperceut
En le voyant fut son cueur doloureux
Car transpercé fut d'ung dart perilleux
Noircy de dueil de regret empenné
De desespoir triste & calamiteux
Estoit le fer qui son cueur a navré
Itaque ad famulum &c.
Palle devint tout son sang remua
Puis se tourna envers le serviteur
Et luy dist vers mon seigneur t'en va
En luy disant qu'il a fau son honneur
De avoir en or ensevely le cueur
Du plus loyal amant qui fust en vie
Tel sepulcre pour sa grande valeur
Doit il avoir je le te certiffye
In hoc quidem decenter factum est &c.
J'ay aperceu tousjours par cy devant
La charité que mon pere a vers moy
Jusques cy m'a esté favorisant
Mais oncquez mes ne fist chose de quoy
Plus me tienge tenue sur ma foy
Que en sepulcre d'or avoir ce cueur mis
Du plus loyal de la meilleure foy
Que oncques dieu fist cela je te pluvis
Comment sigismunde en envoya le
serviteur et en grant douleur pleurs
& gemissemens baisa le cueur de
son loyal amy tenant la coupe
d'or entre ses mains
Extremas gracias & cetera.
Mercie le moy & te despars d'icy
En ce disant baisa le loyal cueur
Le serviteur sur ce point est party
Sigismunde remplie de douleur
De affection et calamiteux pleur
Entre ses mains la couppe d'or tenoit
Triste feble et morte la couleur
Piteusement le cueur elle regardoit
Comment sigismunde regardant
le cueur de son loyal amy souspiroit/
et sur icellui adressa ses
parolles faisant plusieurs lamentations
piteuses.
O iocundissimum et suavissimum hospicium voluptatum mearum &c.
Puis souspira la dame tendrement
Envers le cueur sa parole adressa
O vray repos & doulx hebergement
De mes plaisirs lesquelz j'ay prins pieça
Mourir puisse celui qui ainsi t'a
Fait presenter devant mes dolens yeulx
Cruellement ma joye finee a
Damné soit il es enfers tenebreux
Ab inimico tuo id sepulchrum habuisti & cetera.
Tu as esté en or ensevely
Ce qui affiert a ta noble prestance
Rien ne restoit que les lermes et cry
De moy lasse ou tant as eu fiance
Dieu a voulu par sa digne clemence
Que tu soyes entre mes mains tenu
Pour que pleurer puisse a grant habondance
Lermes sur toy. cueur bien soie tu venu
His vero solutis ut anima mea &c.
Je ne pouois plus plaisant compaignie
Avoir/ que ton doux & plaisant courage
Lequel icy au pres de moy tournie
Pour voir la fin de mon mortel passage
De mon amour retient encor l'usaige
Partir ne veult sans moy je le sçay bien
Nous parferons nostre pelerinaige
Ensemblement cueur puis que je te tien
Comment la doulce sigismunde
aprés ses calamiteuses
lamentations inclina ses yeux
sur la couppe d'or ou estoit le
cueur pleurant en grant habundance
de lermes
His dictis non aliter quam si fons &c.
Quant eut ce dit inclina ses yeux
Sur la couppe d'or ou le cueur estoit
Deux fontaines ne saroient jeter mieux
Doubles russeaux. que la dame faisoit
De ses deux yeulx car elle en emplissoit
Tout le vaisseau sans aucun mot sonner
Et puis baisiers infinis elle donnoit
Au cueur piteux pour le sien consoler
Que aderant ancille &c.
Damoyselles et filles qui la sont
N'entendent point de leur dame les pleurs
Ce neantmoins tristement elles s'en vont
L'une a l'autre demandant quelz douleurs
Elle peut avoir/ que signifient les cueurs
Dont elle parle si trespiteusement
Qu'elle meure bientost sont bien asseurs
Se telz plaintes luy durent longuement
Causam ab ea sciscitantes &c.
Puis s'en vindrent pleurant vers leur maistresse
En luy disant ma dame que avés vous
Descouvrés nous vostre dueil & tristesse
Pour que toutes ou aucune de nous
Puisse trouver remede car pour vous
Emploirions nos corps jusquez a la mort
Se avés segret de amours dictes le nous
On treuve bien sur ce quelque confort
Ipsa vero cum satis sibi &c.
A ses femmes mot elle ne respondit
Ains quant elle eut assez lermes pleuré
Elle secha ses yeulx/ le vis sourdit
Qui sur le cueur avoit tant demeuré
Aprés elle dist o cueur treshonnouré
Doux et loyal puis que je fait l'office
De toy pleurer avecques toy iré
Prendre o les dieux de repos benefice
Comment sigismunde desirant sa
mort pour l'amour de son loyal amy
beut poisons mortiferes
et se getta sur son lit
Subindeque acceptum poculum &c.
Elle avoit mis en quelque segret lieu
La potion du poison mortifere
Jamés homme ne femme n'avoit sceu
Ce qu'elle avoit intention de faire
Le breuvaige mortel et de putte ere
Beut tout soudain sans parler a personne
Puis sur son lit pour son cas mieux parfaire
Elle se geta telle fin luy semble bonne
Pateram cum corde manibus tenens &c.
Elle tenoit la coupe entre ses mains
Ou reposoit de son amy le cueur
Et l'aprochoit du sien avecquez plaints
Car de la mort ja sentoit la douleur
Elle blemist et pallist la couleur
En recevant tous les mortelz assaux
Ses femmes lors eurent au cueur freeur
Bien savantes que enduroit moult de maux
Comment les damoiselles de la
doulce sigismunde coururent a
tancredus luy signifians la
mort de sa fille
Sed que illam circunstabant mulieres &c.
Elles congneurent que beu avoit poison
Et que la mort luy estoit tresprochaine
Puis coururent soudain en la maison
De tancredus. demandant qui vous maine
Ha monseigneur la chose est tressoudaine
Car ma dame sigismunde trespasse
Hatez vous tost : car elle est de mal plaine
Si vehement que cueur & membrez casse
Qui et ipse formidans &c.
Tancredus fut de ce fait tresemeu
Legierement se tira vers sa fille
Car il eut paour qu'elle eust mengé ou beu
Quelque chose qui ne fust pas utile
Ou par courage qu'elle avoit tres virile
Elle ne se fust soudainement occise
Il envoya querir parmy la vile
Tous medecins qu'il avoit a sa divise
Comment tancredus voyant qu'il
n'y avoit remede a la mort de
sigismunde sa fille faisoit piteux
regretz en grans pleurs et
gemissemens
Sed tarde quidem & sero ferre auxilium
Quant ilz furent tous ensemble venus
Et aperceu que remede n'y a
Lermes et pleurs sont grandement courus
Des yeulx de qui presens estoient la
Sur tous autres le pere fort pleura
En disant las fille je suis defait
Puis que la mort maintenant osté m'a
Ce que je ayme sur tout de cueur parfait
Sigismunda vero sentiens finem vite
Sigismunde qui encores avoit
Quelque petit de vertu doulcement
A son pere parla disant qu'il ne doit
Plourer sa mort/ car autre seulement
Que lui ne l'a fait mourir povrement
Puis lui pria que son corps posé soit
Avecques cil tout en ung monument
Que en son vivant donner ne lui vouloit
Comment sigismunde aprés la
priere qu'elle eut faicte a son
pere trespassa/ et richement fut
ensevelie avecques son loyal
amy guisgard en ung seul monument
Tancredus vero post multos ac miserabiles gemitus &c.
Sitost qu'elle eut ce dit el trespassa
Dont la cité fut dolente & piteuse
Aprés grans pleurs tancredus s'apança
Que acompliroit par euvre obsequieuse
Le testament de sa fille amoureuse
Car richement fist ensemble enterrer
Les deux amans. La bonté gracieuse
De dieu vueille aux deffuncts pardonner.
Amen
Le translateur
Ceste hystoire monstre bien clerement
Que amour loyal ne peut jamés finer
Et que l'en doit filles legierement
Quant elles sont en aage marier
S'il advenoit que amours doulx losangier
Les assallist tant qu'ellez fissent amant
On ne doit pas trop acoup soy venger
Ainsi que fist tancredus ignorant
Cy finist le traicté des deux
loyaulx amans imprimé a paris
le sixiesme jour de may l'an
mil .cccc. quatre vings et treize
par anthoine verard libraire
demourant a paris sur le pont
nostre dame a l'enseigne saint
jehan l'evangeliste/ ou au palais
au premier pillier devant la
chappelle ou l'on chante la messe
de messeigneurs les presidens
IHS
Pour provocquer ta grant misericorde
De tous pecheurs faire grace et pardon
Anthoine Verad humblement te recorde
Ce qu'il a il tient de toi par don
Note du transcripteur
L'orthographe et la ponctuation sont conformes à l'original. Pour
faciliter la lecture, on a ajouté apostrophes, accents et cédilles,
distingué i/j et u/v, et résolu les abréviations conventionnelles
(par exemple cõe > comme).
Les gravures de la page de titre, apparaissant très imparfaitement sur
le microfilm scanné, ont été reconstituées à l'aide de gravures
identiques présentes dans d'autres ouvrages d'Anthoine Vérard.