The Project Gutenberg EBook of Corneille expliqué aux enfants, by Émile FAGUET
The Project Gutenberg eBook of Corneille expliqué aux enfants
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Title: Corneille expliqué aux enfants
Author: Émile Faguet
Illustrator: Hubert François Gravelot
Release date: January 3, 2013 [eBook #41769]
Language: French
Credits: Produced by Clarity, Catherine Lamy-Bergot and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORNEILLE EXPLIQUÉ AUX ENFANTS ***
Note de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
Les pages blanches, non numérotées, ne sont pas indiquées.
LA FONTAINE, par M. Emile Faguet.—Un joli vol. in-12 orné d'un portrait
de La Fontaine, d'après Rigault, gravé par Edelinck, et de plusieurs
reproductions de Fessard (graveur du XVIIIe siècle).
Prix, broché1 50
EN PRÉPARATION:
VICTOR HUGO, par M. Ernest Dupuy, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, professeur de rhétorique au collège Rollin, à Paris.
CHATEAUBRIAND, par le même.
RACINE, par M. Jules Lemaître, ancien élève de l'Ecole normale
supérieure, professeur à la faculté des Lettres de Grenoble.
PAR Émile FAGUET ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
PROFESSEUR AGRÉGÉ DES LETTRES AU LYCÉE CHARLEMAGNE
DOCTEUR ÈS LETTRES
Ce volume est orné de deux portraits représentant le grand Corneille et
Thomas Corneille, son frère (Musée de Versailles), et de plusieurs
reproductions de Gravelot, graveur du XVIIIe siècle.
PARIS LIBRAIRIE CLASSIQUE H. LECÈNE & H. OUDIN
17, RUE BONAPARTE, 17
En publiant cette nouvelle Collection des Classiques populaires, nous
avons eu la pensée de donner aux enfants et aux jeunes gens une première
idée des grands écrivains français, et, du même coup, les premiers
traits d'une grande morale, générale, large, profonde, vraiment humaine.
La première éducation morale de l'enfant se fait par les entretiens du
foyer. Mais qui de nous ne sait que ces premiers entretiens, quand nous
les tirons de notre fonds, manquent bien vite de matière?
Pour suppléer à notre insuffisance propre, nous devons inventer des
livres pleins d'histoires ou de contes édifiants, que nous mettons entre
les mains des enfants. Faible ressource! Ces contes sont souvent bien
puérils et d'une cruelle insignifiance. Pourquoi ne s'est-on pas avisé
qu'il faut du génie, et du plus grand, pour parler à l'enfance et à la
p. vijeunesse? Mais les hommes de génie ont écrit pour des hommes; soit,
aussi pour les confier à l'enfant, faut-il les expliquer. Le fond de la
pensée de ces grands écrivains, c'est la vérité morale, qu'il suffit de
démêler des ornements, ou des vérités particulières, dont ils l'ont
entourée, pour donner aux jeunes gens la nourriture la plus forte, la
plus simple, la plus accommodée et la seule qui soit digne d'eux.
C'est ce que nous avons essayé de faire. Ce qu'ont pensé, au fond, La
Fontaine, Corneille, Bossuet, Molière, Fénelon, Racine, Chateaubriand,
Lamartine, Victor Hugo, sur l'homme, sur la vie, sur le travail, sur la
douleur, sur la joie, sur le progrès, sur la nation, sur la patrie, tel
est l'enseignement que nous avons voulu dégager des œuvres de ces
écrivains pour le donner à l'enfant et au jeune homme. Cet enseignement,
on le trouvera ici, sous une forme simple et pure, tantôt en lisant
l'auteur lui-même, tantôt en suivant les résumés exacts et clairs que
nous ferons de cet auteur.
L'enfant, à ce régime, aura à la fois formé son bon sens et son cœur,
et il se trouvera, par surcroît, p. viiet sans y penser, être entré déjà dans
la familiarité de grands génies dont il pourra plus tard étudier plus
profondément les œuvres.
Quelle sera la méthode? Donnerons-nous d'abord une notice sur un grand
écrivain, puis des extraits de ses œuvres reliés par des analyses? Il
y aurait à craindre que la notice ne fût pas lue et que par suite les
extraits ne fussent pas compris dans leur ensemble.
Ramenons toujours les choses pédagogiques à la pratique naturelle,
c'est-à-dire à l'usage familial. Un père de famille cause avec ses
enfants. Il leur parle de respect filial et songe au Cid. Que
fera-t-il? Il dira qu'il y a eu un grand homme qui s'appelait Corneille,
qu'il vivait à une certaine époque, qu'il a fait des pièces de théâtre
nommées tragédies; qu'il y en a une, entre autres, très belle, qui
s'appelle le Cid, et il racontera le sujet. Puis il prendra le livre,
et, tout en indiquant la suite et la conduite de la pièce, il lira les
passages les plus à la portée de l'enfance.
Voilà précisément ce que nous nous proposons de faire. Un entretien
continu, où s'introduisent, chemin faisant, naturellement, et à leur
place, p. viiianalyses, extraits et explications, tel est le plan que nous
suivrons pour chaque volume de notre collection.
Tous les grands Ecrivains sont-ils susceptibles de cette adaptation? La
plupart, assurément. Cependant nous avons pensé que nous devions
restreindre notre cadre, et le limiter aux XVIIe et XIXe siècles, sauf
à l'élargir plus tard. Les œuvres des écrivains appartenant à ces
deux siècles conviennent particulièrement à l'enfance parce qu'elles
sont empreintes, pour la plupart, d'un caractère de majestueuse
sérénité.
Nous avons fait appel au concours très précieux et à la collaboration de
plusieurs de nos collègues et camarades de l'Université, qui ont bien
voulu nous prêter l'appui de leur talent et nous aider à atteindre le
but que nous nous proposons:
Confier l'éducation de nos enfants aux grands écrivains populaires dont
la france est fière, et, sur nos fils et nos filles, dès leur age
tendre, faire tomber, selon l'expression de Victor Hugo:
«De tous ces livres pleins de hautes harmonies, La bénédiction sereine des génies.» Emile Faguet
Vous savez qu'il y a eu en France, à deux cents ans de nous environ, un
beau temps, très glorieux, qui a eu ses misères, comme tous les temps,
où les rois et les princes ont commis de grandes fautes, mais où la
nation a rendu très grand le nom de notre pays, un temps où nous avons
pris sur l'étranger, au midi le Roussillon, au nord l'Artois et une
partie de la Flandre, à l'est la Lorraine et l'Alsace. Cette époque doit
être chère à tous les cœurs français. C'est le XVIIme siècle;
c'est le temps où, après le grand et bon roi Henri IV, la France a été
gouvernée par Louis XIII, ou plutôt par le premier ministre de Louis
XIII, Richelieu, et puis par Louis XIV, avec ses ministres, très
intelligents aussi, très laborieux et très dévoués à leur patrie,
Colbert, de Lionne, Louvois.
Mais c'est surtout le temps où les Français, qu'on accuse, vous le
savez, d'être légers, frivoles, inconstants, ont été peut-être le plus
sérieux, appliqués à leurs devoirs, énergiques et l'esprit tourné vers
les grandes choses. Ils aimaient leur pays, quoique leur pays, alors,
fût très pauvre, les temps très durs, les impôts lourds, la disette bien
souvent à la porte, et quelquefois dans la maison. Eh bien, tout comme
plus tard, mal vêtus et mal nourris, quand on leur mettait un fusil dans
la main, quand le tambour battait à l'approche de l'ennemi, ils jetaient
le pain qu'on venait de leur distribuer, pour courir plus vite au
combat.
Pourquoi étaient-ils ainsi? D'abord parce que les Français ont toujours
été braves, et de bon cœur à leur devoir, et qu'il est plus difficile
de les corrompre que de les mener au bien. Ensuite parce qu'ils avaient
de bons maîtres pour leur enseigner l'amour de la vertu, du courage, de
la patience, et, ce qui contient tout, l'amour de la patrie.
Ces maîtres, c'étaient les auteurs, les écrivains qui composaient de
beaux livres pour les enfants et pour les hommes, les historiens, les
orateurs et les poètes. Ils lisaient beaucoup Plutarque, un ancien Grec
traduit en très bon français par un auteur du siècle précédent, le bon
Amyot. Ce livre renfermait toutes les plus belles histoires des plus
honnêtes p. 3et des plus courageux personnages de l'antiquité, et il était
si bon, si entraînant à bien faire que le roi Henri IV, qui se
connaissait en courage, disait, à ce qu'on assure, que c'était pour lui
comme une autre conscience.
Ils lisaient encore Tite Live, un Romain, celui-là, qui a raconté
comment les citoyens de Rome ont mille fois mis en danger leurs biens et
leur vie pour que leur patrie fût libre, grande et respectée du monde
entier. Tout cela leur donnait une idée forte et élevée de ce que doit
être un homme, pour mériter d'être appelé de ce nom, et un patriote,
comme nous disons. Ce mot n'existait pas encore, mais la chose était
commune, si bien que c'est précisément vers la fin de l'époque dont je
vous parle que le mot a été inventé.
Que lisaient-ils encore?
Faut-il vous le dire? Ils lisaient des romans. Mais c'étaient de beaux
romans que ceux de ce temps-là. C'étaient des livres où l'on racontait
des histoires d'hommes héroïques, extraordinaires, grands guerriers,
grands batailleurs, toujours prêts à faire de grandes entreprises et à
donner, pour l'honneur et pour la gloire, de grands coups d'épée. Vous
comprenez combien toutes ces lectures enflammaient les courages et
donnaient des idées de glorieuses entreprises ou de vaillantes défenses.
Et voilà que, juste à cette époque-là, il est né un homme de beaucoup
d'esprit et de beaucoup de cœur, ce qu'on appelle un homme de génie,
qui a rendu tous ces beaux sentiments, mais plus beaux encore et plus
purs, en très beaux vers, et qui a fait dire ces vers dans les théâtres,
par la bouche de très bons acteurs. Jamais on n'avait encore entendu de
si excellentes paroles, et qui fissent battre le cœur comme
celles-là. C'étaient l'idée et le sentiment de tout le monde, que cet
homme mettait en vers sublimes, c'est-à-dire en phrases sonores,
harmonieuses, et si faciles à retenir que chacun s'en allait les
répétant toute sa vie, rien que pour les avoir entendues une fois.
Cet homme, c'était un poète; ce qu'il faisait ainsi, c'était ce qu'on
nomme des pièces de théâtre, des tragédies ou des comédies, et il
s'appelait Pierre Corneille. Je vais vous expliquer ce qu'il a été et ce
qu'il a fait, et vous comprendrez comment il a été cause, pour sa part,
d'une partie des bonnes et belles actions qui ont été accomplies en son
temps.
Corneille était né à Rouen, en Normandie, l'année 1606, dans une famille
qui n'était pas riche, mais très honorable, et qui avait donné à sa
province bon nombre de magistrats éclairés et justes. Il était très
appliqué dans son enfance, et fit de très bonnes études dans le collège
de sa ville. Quand il fut grand, on en voulut faire un avocat, pour
qu'il devînt magistrat plus tard, comme beaucoup de ses parents. Mais il
parlait mal et était timide de son naturel. Beaucoup de grands hommes
sont ainsi dans leur jeunesse, et quelquefois toute leur vie. C'est pour
cela qu'il ne faut pas tourner en ridicule la timidité d'un enfant ou
quelque défaut dans sa manière de se faire entendre. Bien souvent ce ne
sont pas les plus hardis et les plus assurés en paroles qui sont les
meilleurs.
Pierre Corneille reconnut très vite qu'il ne réussirait pas au palais,
et il se tourna d'un autre côté. Il fit d'abord, comme distraction et
passe-temps, des comédies. Les comédies sont des pièces de théâtre pour
faire rire. On y montre des p. 6hommes et des femmes qui ont des défauts,
qui sont avares, ou perfides, ou menteurs, ou joueurs, ou gourmands, ou
glorieux, et à qui il arrive des désagréments et des mésaventures
risibles à cause de ces défauts. Quand un poète a de la bonne humeur et
de la gaîté, ces pièces peuvent amuser honnêtement les honnêtes gens, et
même les faire réfléchir sur les mauvaises inclinations qu'ils peuvent
avoir, quand elles ne sont pas trop fortes et trop enracinées déjà dans
le cœur.
Pierre Corneille, qui était jeune et gai, parce qu'il avait un cœur
pur et une bonne conscience, fit donc quelques comédies. Elles n'étaient
pas très bonnes, mais elles étaient assez amusantes; et elles
réussirent, parce qu'on n'avait pas alors, comme on eut plus tard, quand
Molière arriva, beaucoup de bonnes pièces comiques. Corneille sentit
qu'il pouvait continuer sans crainte dans la carrière où il s'était
hasardé, et il vint à Paris, où on le connaissait déjà comme un jeune
écrivain, destiné à devenir un célèbre poète.
CORNEILLE ET RICHELIEU.
Il y avait alors un grand ministre, que j'ai nommé plus haut, et qui,
tout en s'occupant de toutes ses forces à rendre la France plus riche,
plus forte et p. 7plus grande, s'inquiétait du sort des écrivains, et
voulait qu'il y en eût beaucoup de bons en France, et qu'ils y fussent
honorés et respectés. Il faisait précisément des pièces de théâtre
lui-même, et, comme il n'avait pas le temps de les faire tout seul, il
se faisait aider par un certain nombre de poètes qui s'y entendaient.
C'était le cardinal Richelieu. Richelieu connaissait Pierre Corneille et
l'estimait fort. Il l'appela auprès de lui, et le fit entrer dans cette
compagnie d'écrivains qui travaillaient avec lui. Pierre Corneille y fit
la connaissance d'un bon poète, qui était un homme de grand cœur,
Jean Rotrou, qu'il aima tout de suite et dont il resta l'ami jusqu'à ce
qu'il lui fût enlevé par la mort.
Corneille aimait fort aussi et honorait comme il devait le cardinal
Richelieu. Mais celui-ci était peu accommodant, et habitué à se faire
obéir ponctuellement, il n'aimait pas qu'on eût d'autres idées que les
siennes. Il donnait à ses écrivains familiers des plans de travail, et
il fallait écrire sur ces plans, sans y rien changer. Pierre Corneille
qui, tout en respectant le grand génie de Richelieu dans les choses de
la politique, se sentait plus de génie que lui pour les pièces de
théâtre, changeait quelquefois. Richelieu s'en plaignit, puis se piqua,
et enfin Corneille crut devoir se retirer d'auprès de lui.
Il eut raison; car il n'est pas bon à un homme de génie d'écrire sous la
direction d'un autre. On est doué pour les choses de l'esprit, et alors
il faut se livrer à ses inspirations et ne demander conseil qu'après
avoir écrit, à des amis éclairés et sincères; ou bien l'on n'est pas
capable de faire de belles œuvres, et alors il ne faut pas écrire du
tout, une œuvre médiocre ne valant pas la peine d'être mise sur le
papier.
Corneille se retira donc. Richelieu lui en voulut, et quand Corneille,
un peu plus tard, fit paraître une très belle tragédie, dont je vais
vous parler, et qui s'appelait Le Cid, il se joignit aux jaloux qui
déclaraient la pièce mauvaise, et la fit critiquer aussi sévèrement
qu'il put par l'Académie française, qu'il venait de fonder. Cela n'est
pas très honorable pour Richelieu.
Cependant il faut dire qu'il n'en rendit pas moins de grands services à
Pierre Corneille dans diverses circonstances, notamment dans l'affaire
de son mariage. Le père de la jeune fille que Corneille désirait épouser
hésitait à consentir, ne trouvant pas Corneille d'assez bonne famille.
Richelieu fit conférer des titres de noblesse aux parents de Corneille,
et conseilla au père de la jeune fille de ne pas s'opposer à l'union. Un
conseil de Richelieu était plus qu'un conseil, et le père, si difficile
au choix d'un gendre, dut céder, comme vous p. 9pensez bien. C'est une
petite comédie en action que fit là Richelieu, et vous pouvez croire que
c'est la meilleure qu'il ait faite.
Jaloux d'un côté, bienfaisant de l'autre, voilà ce qu'a été Richelieu
pour Corneille, et il faut bien que ce soit la vérité, pour que
Corneille, homme incapable de dire rien qui ne fût vrai, écrivît, à la
mort du cardinal, une petite pièce de vers qui se terminait ainsi:
«Il m'a fait trop de bien pour en dire du mal; Il m'a fait trop de mal pour en dire du bien.»
Quoi qu'il en soit, le plus grand bienfaiteur de Corneille, sans
jalousie et sans rancune celui-là, ce fut le public. Il avait accueilli
avec faveur ses premières pièces, comédies ou fantaisies sans
prétention, très gaies du reste, et où l'on sentait tout l'entrain de la
jeunesse; il accueillit avec des transports ses grandes tragédies, que
Corneille donna de l'âge de trente ans à celui de quarante, en pleine
force de santé, d'énergie morale et de génie.
Il y en eut huit surtout qui plurent infiniment et qu'on a encore
beaucoup de plaisir à voir reparaître sur le théâtre ou à relire. C'est
le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, Nicomède, Don Sanche
d'Aragon, Pompée et Sertorius. Savez-vous pourquoi?
C'est que, dans chacun de ces beaux ouvrages, Corneille mettait en
lumière un des meilleurs sentiments de notre cœur, une forme
particulière de ce qui est le plus cher aux Français, le courage. Dans
le Cid, par exemple, il montrait le courage d'un jeune homme qui
défend l'honneur de son p. 11père; dans Horace, le courage d'un père qui
sacrifie ses enfants pour le salut de sa patrie; dans Polyeucte, le
courage d'un homme qui sacrifie ses biens, son avenir et enfin sa vie
pour ses convictions religieuses; dans Cinna, le courage d'un homme,
cruel et vindicatif de son naturel, qui sait triompher de ses mauvais
penchants, et pardonner à ses ennemis quand il pourrait les accabler;
dans Nicomède, quelque chose que vos parents et vos maîtres auront à
vous recommander bien souvent, le courage du plus faible contre le plus
fort, la fierté du vaincu devant le vainqueur insolent, l'espoir
invincible des revanches de la justice sur la force.
Voyez quelles grandes leçons ce poète donnait à ses contemporains, et
comme on comprend bien que les illustres guerriers de cette époque,
entre autres le prince de Condé, pleuraient à entendre ces belles choses
au théâtre, et comme Voltaire a eu raison de dire: «Le grand Condé
pleurant aux vers du grand Corneille, c'est une époque bien importante
dans l'histoire de l'esprit humain!»
C'est une belle histoire que celle du Cid. Elle se passe en Espagne,
du temps que les Espagnols faisaient la guerre contre les Maures. Il y
avait dans ce temps, à la cour d'un roi espagnol, un vieux général, qui
s'appelait Don Diègue; il avait un fils nommé Rodrigue. A la suite d'une
discussion, Don Diègue fut insulté et frappé d'un soufflet par un
officier plus jeune que lui, nommé Don Gormas. Il voulut venger cet
affront, et mit l'épée à la main; mais Don Gormas le désarma. Le
vieillard allait rester déshonoré, si son fils n'eût pas été là. Vous
pensez bien que ce jeune homme, Rodrigue, ne voulait pas laisser son
vieux père sous le coup d'une pareille honte. Mais Don Gormas était bien
redoutable; c'était le plus vaillant guerrier de toute l'Espagne. Eh
bien, ce n'était rien encore: ce Gormas avec qui il fallait se battre,
c'était le père d'une jeune fille nommée Chimène, à qui Rodrigue était
fiancé. Se battre avec Gormas, ce n'était donc pas seulement risquer sa
vie, c'était tout perdre à p. 13coup sûr; car Rodrigue vainqueur ne pouvait
pas épouser Chimène.
Le père de Chimène donne un soufflet à Don Diègue, père de Rodrigue. (Le Cid.) P. 14-15.
Aussi, dans sa douleur, nous le voyons s'écrier:
Percé jusques au fond du cœur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
O Dieu, l'étrange peine!
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène!
Que je sens de rudes combats!
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse:
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse.
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
O Dieu, l'étrange peine!
Faut-il laisser un affront impuni?
Faut-il punir le père de Chimène?
Père, maîtresse, honneur, amour,
Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.
Et voilà Rodrigue qui vient provoquer Gormas. Celui-ci regrettait bien
sa mauvaise action, surtout en voyant le courage de ce jeune homme à qui
il avait projeté d'unir sa fille. Mais il était trop tard. Il ne peut
qu'admirer la vertu de Rodrigue et lui dire cette belle parole, qu'il
faut retenir:
Viens, tu fais ton devoir; et le fils dégénère
Qui survit un moment à l'honneur de son père.
Et là-dessus, ils vont se battre. Rodrigue tue Gormas. Il est vengé,
mais combien malheureux! Comment revoir Chimène maintenant, et que lui
dire? Il la revoit pourtant, et lui adresse des p. 16paroles bien vraies et
bien nobles. Il ne s'excuse pas, puisqu'il a fait ce qu'il devait. Il
lui dit avec une profonde douleur:
J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois.
Je le ferais encor si j'avais à le faire.
«Mais, ajoute-t-il, je voudrais bien mourir, à présent que je suis
quitte de mon devoir:
Car enfin n'attends pas de mon affection
Un lâche repentir d'une bonne action.
L'irréparable effet d'une chaleur trop prompte
Déshonorait mon père, et me couvrait de honte.
Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur;
J'avais part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur;
Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père;
Je le ferais encor, si j'avais à le faire.
Ce n'est pas qu'en effet contre mon père et moi
Ma flamme assez longtemps n'ait combattu pour toi;
Juge de son pouvoir: dans une telle offense
J'ai pu délibérer si j'en prendrais vengeance.
Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront,
J'ai pensé qu'à son tour mon bras était trop prompt,
C'était m'en rendre indigne et diffamer ton choix.
Je te le dis encore, et, quoique j'en soupire,
Jusqu'au dernier soupir je veux bien le redire;
Je t'ai fait une offense, et j'ai dû m'y porter
Pour effacer ma honte, et pour te mériter;
Mais, quitte envers l'honneur, et quitte envers mon père,
C'est maintenant à toi que je viens satisfaire:
C'est pour t'offrir mon sang qu'en ce lieu tu me vois.
J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois.
Je sais qu'un père mort t'arme contre mon crime;
Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime:
Immole avec courage au sang qu'il a perdu
Celui qui met sa gloire à l'avoir répandu.
Chimène, de son côté, est bien malheureuse. Elle aussi a le cœur
noble; elle comprend que Rodrigue a agi en homme de bien, et elle ne
l'en estime que davantage. Mais pourtant elle a perdu son père, et il
faut bien qu'elle demande qu'on punisse le meurtrier; car elle serait
une fille dénaturée si elle ne le faisait pas. Elle va donc, la mort
dans l'âme, comme vous pensez, demander au roi qu'il punisse Rodrigue,
tout en craignant de l'obtenir, et en se disant que si l'on met Rodrigue
à mort, sa vie, à elle aussi, est brisée.
Éteint, s'il n'est vengé, l'ardeur de vous servir.
Enfin mon père est mort, j'en demande vengeance,
Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance[2].
Vous perdez en la mort d'un homme de son rang;
Vengez-la par une autre, et le sang par le sang.
Quelle affreuse aventure, et comme, de tout côté, on ne voit pour ces
braves jeunes gens que des sujets de désespoir!
Mais en ce même temps les Espagnols sont en guerre avec les Maures.
Pendant que le roi examine l'affaire de Rodrigue, les Maures attaquent
la frontière, au milieu de la nuit. Rodrigue l'apprend, réunit ses
compagnons, ses amis, des inconnus même qu'il trouve sur sa route,
marche à l'ennemi, se bat toute la nuit, est vainqueur, et sauve
l'Espagne.
Voici comment lui-même, au retour, raconte l'affaire à son roi:
Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef; je me nomme, ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps;
Et le combat cessa faute de combattants.
Rodrigue n'est plus le jeune homme obscur de la veille, il est le
sauveur du pays; il n'est plus même Rodrigue, il est le Chef, le
Cid. Il ne peut donc plus être question de le punir. Le roi
l'embrasse, et Chimène, qui n'a jamais cessé de l'estimer, et qui
maintenant l'admire, Chimène attendra en silence que sa douleur se soit
adoucie, et épousera plus tard le héros qui est si digne d'elle.
Voilà l'histoire du Cid. Elle nous apprend que les fils qui savent
défendre leurs pères sont les plus hardis ensuite et les plus heureux à
protéger, contre ceux qui la méprisent ou qui l'insultent, la mère
commune, qui est la patrie.
Horace est une histoire aussi noble et aussi généreuse, mais plus
triste. C'est pour cela qu'il faut la lire et la bien comprendre, pour
apprendre que le devoir accompli n'a pas toujours une récompense aussi
douce que tout à l'heure, et qu'il faut néanmoins le remplir, parce que
la vraie récompense du bien que l'on fait, c'est la conscience qu'on a
d'avoir bien agi.
Horace était un Romain des temps anciens, du temps que Rome était en
guerre avec la ville d'Albe, sa voisine. Il avait trois fils, et, avant
la guerre, il en avait marié un avec une jeune fille d'Albe, nommée
Sabine, qui était de la famille des Curiaces. D'un autre côté, un jeune
homme de la famille des Curiaces devait épouser une fille d'Horace,
nommée Camille. Vous comprenez combien ces deux familles, unies par tant
de liens, désiraient la fin de la guerre qui les séparait sans que
pourtant elles pussent arriver à se haïr.
Précisément un sujet de joie, ou du moins d'espoir, se présente. Une
trêve a été conclue, et l'on a décidé, pour en finir, que trois Romains
p. 25combattraient pour tous contre trois Albains, et que la patrie des
vaincus se soumettrait à celle des vainqueurs.
Mais voilà que ce sont justement les trois fils d'Horace qui sont
choisis, et pour combattre contre qui? contre le Curiace, fiancé de
Camille, et ses deux frères. On pleure dans la maison d'Horace. Sabine
et Camille sont au désespoir. N'importe; la patrie ordonne, il faut
marcher sans plainte où elle veut qu'on aille. Le jeune Horace dit au
Curiace qui est son beau-frère:
«Albe vous a nommé; je ne vous connais plus.»
et Horace, le père, les envoie au combat en les bénissant, avec ces
paroles sublimes:
Ah! n'attendrissez point ici mes sentiments;
Pour vous encourager ma voix manque de termes;
Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes;
Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux.
Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux!
Ils font leur devoir.
Au premier choc, deux Horaces sont tués, les trois Curiaces blessés. On
vient apprendre cette nouvelle au vieil Horace, et on ajoute que le seul
survivant de ses trois fils a pris la fuite. Il refuse p. 26d'y croire. Un
Horace fuir! ce n'est pas possible:
O d'un triste combat effet vraiment funeste!
Rome est sujette d'Albe, et pour l'en garantir
Il n'a pas employé jusqu'au dernier soupir!
Non, non, cela n'est point, on vous trompe, Julie;
Rome n'est point sujette, ou mon fils est sans vie:
Je connais mieux mon sang, il sait mieux son devoir.
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois? lui demande-t-on.—«Qu'il
mourût!» répond d'un ton sublime ce père, déjà privé de deux enfants,
mais qui ne songe qu'à l'honneur du pays.
Cependant d'autres nouvelles arrivent. Le jeune Horace n'était pas un
lâche. Sa fuite n'était qu'une ruse. Il comptait que les trois Curiaces
blessés le poursuivraient, qu'en le poursuivant, étant blessés plus
grièvement les uns que les autres, ils se sépareraient, et que lui,
revenant sur eux, n'aurait affaire qu'à un seul à la fois, et pourrait
les frapper l'un après l'autre.
Resté seul contre trois, mais, en cette aventure,
Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure,
Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d'eux,
Il sait bien se tirer d'un pas si dangereux;
Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse
Camille, sa fille, a perdu son fiancé, tué par son frère. Quand celui-ci
revient vainqueur, elle pleure devant lui cette victoire funeste, et peu
à peu en vient à l'insulter. Le jeune Horace, tout chaud encore de la
bataille et du triomphe, s'emporte, perd l'esprit, et frappe
mortellement sa sœur.
Horace tire son épée pour en frapper sa sœur Camille. (Horace.) P. 28-29.
Voilà le vieil Horace, en un seul jour, privé de trois de ses enfants
par suite de la guerre qu'a faite sa patrie. Eh bien, il ne la maudit
pas pour cela, il ne s'en plaint pas, il sait qu'on lui doit tout; il
l'aime encore.
Son dernier fils passe en jugement pour avoir tué sa sœur; il le
défend devant le roi et les Romains.
Savez-vous comme il le défend? Il ne supplie pas le roi de lui conserver
ce dernier enfant, ce soutien de sa vieillesse. Il le conjure de le
conserver à Rome, qui peut avoir encore besoin de ce bras et de ce
sang. Il dit au roi:
Que me donnent sur lui les droits de la naissance;
J'aime trop l'honneur, Sire, et ne suis point de rang
A souffrir ni d'affront ni de crime en mon sang.
C'est dont je ne veux point de témoin que Valère[6];
Il a vu quel accueil lui gardait ma colère,
Lorsqu'ignorant encor la moitié du combat,
Je croyais que sa fuite avait trahi l'Etat.
Qui le fait se charger des soins de ma famille?
Qui le fait, malgré moi, vouloir venger ma fille?
Et par quelle raison, dans son juste trépas,
Prend-il un intérêt qu'un père ne prend pas?
On craint qu'après sa sœur il n'en maltraite d'autres!
Sire, nous n'avons part qu'à la honte des nôtres.
Et de quelque façon qu'un autre puisse agir,
Qui ne nous touche point ne nous fait point rougir.
Et puis le crime ne disparaît-il pas dans la grandeur du service rendu à
la Patrie? La Patrie peut-elle permettre qu'on la prive ainsi de ses
défenseurs?
C'est aux rois, c'est aux grands, c'est aux esprits bien faits,
A voir la vertu pleine en ses moindres effets;
C'est d'eux seuls qu'on reçoit la véritable gloire;
Eux seuls des vrais héros assurent la mémoire.
Vis toujours en Horace[7], et toujours auprès d'eux
Ton nom demeurera grand, illustre, fameux;
Bien que l'occasion, ou moins haute, moins brillante,
D'un vulgaire ignorant trompe l'injuste attente.
Ne hais donc plus la vie, et du moins vis pour moi,
Et pour servir encor ton pays et ton roi.
Sire, j'en ai trop dit: mais l'affaire vous touche;
Et Rome tout entière a parlé par ma bouche.
Voilà le vrai patriotisme, celui qui donne sans compter, qui perd sans
se plaindre, qui ne veut conserver que pour donner encore. Ce père
méritait bien qu'on lui laissât son fils. On le lui rend en effet, et il
rentre dans sa maison désolée, triste, mais la tête haute, et le cœur
calme; car on est inébranlable aux coups du sort, quand on s'est attaché
moins aux êtres les plus chéris, qui peuvent mourir, qu'à la patrie, qui
ne meurt pas.
Cinna est l'histoire d'un beau mouvement de courage de l'empereur
Auguste. Le courage ne consiste pas toujours à braver l'ennemi, à
attaquer, parce que l'honneur le veut, un homme qui tient votre bonheur
en sa main, à sacrifier ses enfants aux intérêts de son pays. Il
consiste souvent à briser, à vaincre les mauvais sentiments qu'on a dans
son cœur. C'est un courage intérieur, en quelque sorte, et obscur,
qui n'a rien d'éclatant et de frappant, qui ne fait pas que les gens se
retournent et vous applaudissent, mais qui n'en demande peut-être que
plus d'effort et de fermeté.
Cet Auguste s'était emparé du pouvoir à Rome, grâce à beaucoup de
perfidies et de violences. Il s'était montré affreusement cruel envers
ses ennemis et envers ceux qu'il avait vaincus. C'était un homme habitué
à la haine, à la rancune et à la vengeance. Des villes entières avaient
été noyées dans le sang pour s'être opposées à ses desseins. p. 34Enfin il
était devenu le maître, et il gouvernait sans obstacle.
Il était heureux, me direz-vous peut-être.
Non, il s'ennuyait. On n'est heureux que par le bonheur qu'on donne aux
autres, et, ne s'étant occupé que du sien, il n'avait acquis que la
puissance, et non la satisfaction, ce qui n'est pas du tout la même
chose. Il était si dégoûté de sa fausse prospérité qu'il songeait à
quitter ce haut rang qui lui avait tant coûté d'efforts, et qu'il le
disait en ces termes à Cinna et à Maxime, qu'il croyait ses amis:
Cet empire absolu sur la terre et sur l'onde,
Ce pouvoir souverain que j'ai sur tout le monde,
Cette grandeur sans borne et cet illustre rang
Qui m'a jadis coûté tant de peine et de sang,
Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune
D'un courtisan flatteur la présence importune,
N'est que de ces beautés dont l'éclat éblouit,
Et qu'on cesse d'aimer sitôt qu'on en jouit.
L'ambition déplaît quand elle est assouvie,
D'une contraire ardeur son ardeur est suivie;
Et comme notre esprit, jusqu'au dernier soupir,
Toujours vers quelque objet pousse quelque désir,
Il se ramène en soi, n'ayant plus où se prendre[8],
Vous, qui me tenez lieu d'Agrippe et de Mécène[11],
Pour résoudre ce point avec eux débattu,
Prenez sur mon esprit le pouvoir qu'ils ont eu;
Ne considérez point cette grandeur suprême,
Odieuse aux Romains et pesante à moi-même;
Traitez-moi comme ami, non comme souverain;
Rome, Auguste, l'État, tout est en votre main:
Vous mettrez et l'Europe, et l'Asie, et l'Afrique,
Sous les lois d'un monarque, ou d'une république;
Votre avis est ma règle, et par ce seul moyen
Je veux être empereur ou simple citoyen.
Tout à coup Auguste apprend que Cinna, un jeune Romain qu'il aurait pu
frapper autrefois, car il était parent de ses ennemis, mais qu'au
contraire il avait protégé et comblé de faveurs, forme un complot contre
lui. Cet homme ardent, violent, si enclin à la vengeance, ne songe
d'abord qu'à châtier l'ingrat. Il en avait le droit; car Cinna, ayant
accepté ses bienfaits, était peut-être le seul à Rome à qui il fût
interdit, en conscience, de se révolter contre Auguste. Il s'écrie:
Octave, n'attends plus le coup d'un nouveau Brute[18];
Meurs et dérobe-lui la gloire de ta chute:
Meurs; tu ferais pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,
Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse
Pour te faire périr tour à tour s'intéresse;
Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir;
Meurs enfin, puisqu'il faut ou tout perdre ou mourir.
La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste
Ne vaut pas l'acheter par un prix si funeste;
Meurs, mais quitte du moins la vie avec éclat,
Éteins-en le flambeau dans le sang de l'ingrat,
A toi-même en mourant immole ce perfide;
Contentant ses désirs, punis son parricide;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,
En faisant qu'il le voie et n'en jouisse pas.
Auguste est bien incertain encore et indécis. Il compte sur
l'inspiration du moment, et fait appeler Cinna. Il le menace, lui montre
l'horreur de sa conduite, s'échauffe et s'irrite à lui reprocher son
crime.
Tu vois le jour, Cinna; mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père et les miens:
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance;
Et lorsque après leur mort tu vins en ma puissance,
Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire;
Mais ce qu'on ne pourrait jamais s'imaginer,
Cinna, tu t'en souviens et veux m'assassiner!
Cinna se trouble, et répond en balbutiant qu'il est incapable d'une
telle noirceur. Auguste l'arrête d'un geste méprisant, et lui dit d'un
ton froid et dur:
Ne puisse après ma mort tomber mieux qu'en ta main.
Apprends à te connaître, et descends en toi-même:
On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime,
Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux.
Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux:
Mais tu ferais pitié même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnais à ton peu de mérite.
Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire,
Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient;
Elle seule t'élève, et seule te soutient;
C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne;
Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne;
Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.
J'aime mieux toutefois céder à ton envie:
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie;
Mais oses-tu penser que les Serviliens,
Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d'autres enfin de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,
Quittent le noble orgueil d'un sang si généreux
Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux?
Parle, parle, il est temps.
On croit qu'Auguste va laisser éclater cette fureur sanguinaire devant
laquelle Rome entière p. 44a jadis tremblé. Non! D'un vigoureux effort de
volonté, il se maîtrise, étouffe la cruauté qui gronde encore en lui,
fait appel à son orgueil même pour triompher de son ressentiment et
s'écrie:
Je suis maître de moi comme de l'univers;
Je le suis, je veux l'être. O siècles! ô mémoire!
Conservez à jamais ma dernière victoire!
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
Puis, se retournant vers Cinna, étonné de cette grandeur d'âme, il lui
tend la main:
Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie:
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,
Et malgré la fureur de ton lâche dessein,
Je te la donne encor comme à mon assassin.
Commençons un combat qui montre par l'issue
Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue.
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler;
Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler!
Auguste pardonne à Cinna. (Cinna.) P. 44-45.
Et dès lors, savez-vous ce qui arrive? Cette tranquillité d'esprit qui
fuyait Auguste au commencement, il l'a retrouvée. Cette satisfaction que
la victoire et la puissance ne lui avaient pas donnée, le courage et la
générosité la lui ont rendue; et il gardera le pouvoir, maintenant, sans
p. 45accablement, sinon sans soucis, parce que, pour la première fois, il
y a trouvé la seule chose qui peut faire qu'on y tienne, l'occasion de
montrer un grand cœur; parce que, pour la première fois, il peut
dire: «Je suis maître de moi comme de l'univers!»
Etre maître de soi, maître de ses mauvais instincts pour les étouffer,
maître de ses bons sentiments pour les soutenir et leur faire produire
tout leur effet; savoir dire je veux à soi-même: voilà le but qu'on
doit poursuivre dès l'enfance pour s'habituer à marcher droit dans la
vie, pour avoir la fermeté d'éviter les fautes, ou le courage de les
réparer.
Vous voyez comme Corneille nous montre bien, les unes après les autres,
toutes les choses qu'il faut aimer. Il faut aimer son honneur, l'honneur
de sa famille; il faut aimer son pays; il faut aimer à se vaincre
soi-même quand on se sent sur la pente du mal. Il y a une chose encore
qu'il faut savoir aimer de tout notre cœur, ce sont nos convictions,
nos croyances, ce que, après mûres réflexions et examen attentif, nous
croyons juste et vrai. Nous pouvons nous tromper, et alors donner nos
soins, nos peines, notre vie même pour la défense d'une erreur. C'est
pour cela qu'il faut apprendre à réfléchir, se faire le jugement sain et
l'esprit droit par de bonnes et fortes études. Mais quand nous sommes
arrivés à l'âge d'homme, quand nous avons bien cultivé notre raison,
qu'elle a mûri, il faut nous attacher fermement à nos opinions, ne pas
les abandonner par ambition, ni les taire par crainte, ni les modifier
par mollesse ou condescendance.
Ce n'est pas tant encore par respect pour ses p. 47croyances qu'il faut agir
ainsi, c'est par respect de soi-même. Quand nous fléchissons sur ce que
nous croyons bon et juste, ce n'est pas tant nos idées que nous
altérons, que notre caractère. Nous nous habituons à être lâche, et
l'homme qui trahit ses idées, c'est-à-dire ses devoirs envers lui-même,
finira par trahir son devoir envers sa famille, ses concitoyens, sa
patrie. C'est ce que Corneille nous apprend dans sa belle tragédie de
Polyeucte.
Cette tragédie se passe à l'époque où les chrétiens n'étaient encore
qu'une secte très faible et très méprisée, où ils adoraient le Christ en
secret, dans l'ombre des souterrains ou dans quelque retraite écartée,
et où ils étaient égorgés ou mis sur la croix dès qu'ils professaient
ouvertement leur croyance. Il y avait dans ce temps un seigneur
d'Arménie, nommé Polyeucte, qui venait d'épouser la fille du gouverneur
d'Arménie. Depuis longtemps il avait étudié la religion nouvelle, et
enfin, la trouvant juste et noble, il s'était fait baptiser chrétien. Sa
femme, Pauline, l'ignorait, ainsi que son beau-père Félix.
Tout à coup Polyeucte apprend qu'un grand sacrifice est offert aux faux
dieux par son beau-père et les magistrats de la province, en l'honneur
des victoires remportées par l'empereur. Son cœur s'irrite à cette
idée. Il lui semble honteux d'adorer le Christ en silence et comme en
cachette, p. 48tandis que sa famille adore publiquement les faux dieux.
Toute la ville peut croire, et croit en effet, qu'il les adore aussi. En
pareil cas, le silence est un mensonge.
Emporté par ce sentiment, il rencontre un chrétien de ses amis, à qui il
doit le baptême, et cette conversation s'engage entre eux:
NÉARQUE.
Où pensez-vous aller?
POLYEUCTE.
Au temple, où l'on m'appelle.
NÉARQUE.
Quoi! vous mêler aux vœux d'une troupe infidèle!
Oubliez-vous déjà que vous êtes chrétien?
POLYEUCTE.
Vous par qui je le suis, vous en souvient-il bien?
Les deux amis se rendent en effet au temple, font un grand scandale
parmi les païens, troublent la cérémonie, brisent les idoles. Voici
comment un païen, spectateur de cette scène, raconte ce qu'ils ont fait:
Qui craint d'être accablé sous le courroux céleste.
On arrête Polyeucte, on le mène en prison; on traîne au supplice son
ami.
Lui pourrait se sauver encore; car il est le gendre du gouverneur. On
cacherait cet éclat à l'empereur. On ne lui demande que de se taire et
de se tenir tranquille. Cette hypocrisie le révolte. Il préfère mourir.
Il s'enivre à l'idée du sacrifice et des récompenses divines qui
l'attendent. Saisi par l'enthousiasme religieux, il s'écrie:
Source délicieuse, en misères féconde,
Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés?
Honteux attachements de la chair et du monde,
Que ne me quittez-vous, quand je vous ai quittés?
Allez, honneurs, plaisirs, qui me livrez la guerre:
Si vous pouviez comprendre et le peu qu'est la vie,
Et de quelles douceurs cette mort est suivie!....
Mais que sert de parler de ces trésors cachés
A des esprits que Dieu n'a pas encor touchés?
Pauline s'est contenue jusque-là. Elle a allégué la raison, et l'intérêt
de Polyeucte. Mais enfin, devant son obstination, elle s'irrite.
Elle-même ne compte donc pas aux yeux de Polyeucte! Il ne la regrette
donc point! Il n'a donc pour elle aucun attachement, qu'il la quitte si
facilement, si froidement!
Elle s'écrie:
Cruel! (car il est temps que ma douleur éclate,
Et qu'un juste reproche accable une âme ingrate)
Est-ce là ce beau feu? sont-ce là tes serments?
Témoignes-tu pour moi les moindres sentiments?
Je ne te parlais point de l'état déplorable
Où ta mort va laisser ta femme inconsolable;
Je croyais que l'amour t'en parlerait assez,
Et je ne voulais pas de sentiments forcés:
Mais cette amour si ferme et si bien méritée
Que tu m'avais promise, et que je t'ai portée,
Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Polyeucte reste inflexible. Il est ému pourtant, il pleure; mais mentir,
trahir ses amis, renier son compagnon qui est mort pour lui, surtout se
trahir soi-même, il ne peut. Il mourra. Il le déclare à Félix et à
Pauline.
Que tout cet artifice est de mauvaise grâce!
Après avoir deux fois essayé la menace,
Après m'avoir fait voir Néarque dans la mort,
Après avoir tenté l'amour et son effort,
Après m'avoir montré cette soif du baptême,
Pour opposer à Dieu l'intérêt de Dieu même,
Vous vous joignez ensemble! Ah! ruses de l'enfer!
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher!
Vos résolutions usent trop de remise;
Prenez la vôtre enfin, puisque la mienne est prise.
Sous qui tremblent le ciel, la terre et les enfers;
Un Dieu qui, nous aimant d'une amour infinie,
Voulut mourir pour nous avec ignominie,
Et qui, par un effort de cet excès d'amour,
Veut pour nous en victime être offert chaque jour.
Mais j'ai tort d'en parler à qui ne peut m'entendre.
Voyez l'aveugle erreur que vous osez défendre:
Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux;
Vous n'en punissez point qui n'ait son maître aux cieux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
J'ai profané leur temple et brisé leurs autels;
Je le ferais encor, si j'avais à le faire,
Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévère,
Même aux yeux du sénat, aux yeux de l'empereur.
Polyeucte demande qu'on le mène à la mort. (Polyeucte.) P. 66-67.
C'en est trop: on le mène au supplice, et, tout à coup, émue par tant de
courage et de constance, sa femme elle-même se fait chrétienne.
Brusquement, elle demande à son père le supplice:
Père barbare, achève, achève ton ouvrage;
Cette seconde hostie est digne de ta rage:
Joins ta fille à ton gendre; ose: que tardes-tu?
Tu vois le même crime, ou la même vertu:
Ta barbarie en elle a les mêmes matières.
Mon époux en mourant m'a laissé ses lumières;
Son sang, dont tes bourreaux viennent de me couvrir,
J'ai fait tout son bonheur, il veut faire le mien.
C'est ainsi qu'un chrétien se venge et se courrouce:
Heureuse cruauté dont la suite est si douce!
Donne la main, Pauline. Apportez des liens:
Immolez à vos dieux ces deux nouveaux chrétiens.
Je le suis, elle l'est, suivez votre colère.
Corneille a voulu nous montrer par là combien sont puissants sur des
cœurs, bons du reste et pitoyables, l'exemple du courage et la vertu
du sacrifice.
Il nous a montré surtout, dans tout le cours de la pièce, ce que c'est
qu'être attaché à sa foi, ce que c'est qu'avoir l'horreur des
hypocrisies, des lâchetés, des défaillances de conscience. Nous n'aurons
pas sans doute l'occasion de proclamer nos convictions au risque de
notre vie, ni avec de grands éclats, comme Polyeucte. Mais nous aurons
mille occasions de pratiquer le respect de nous-mêmes; nous aurons à
triompher de cette fausse honte, ridicule et basse, qui nous porte à
dissimuler une bonne pensée quand nous la voyons dédaignée ou raillée
autour de nous. C'est alors qu'il faut nous rappeler Polyeucte, et, en
bravant les p. 70petits martyres de la vie commune, qui sont les moqueries
des méchants et les mépris des sots, montrer un peu de son courage et de
son élévation de caractère.
Il faudrait que tous les Français lussent Nicomède et en apprissent
par cœur les plus beaux passages. C'est celle des tragédies de
Corneille qui est la plus capable d'élever notre âme, et de nous
enseigner une chose difficile à bien savoir, l'attitude qui convient à
des vaincus.
Partout ailleurs Corneille nous montre l'amour de la patrie. Mais aimer
son pays puissant et glorieux n'est pas une chose difficile; un peu de
fierté y suffit; c'est aimer son pays abaissé et vaincu qui est la vraie
marque d'un bon cœur et d'un pur patriotisme.
C'est ce sentiment-là, si rare et si précieux, que la tragédie de
Nicomède fait éclater à nos regards.
Figurez-vous que les Romains, ce peuple si puissant dont vous venez de
voir que Corneille aime à nous rapporter les grandes actions, étaient
maîtres de presque tout le bassin de la mer Méditerranée et d'une partie
de l'Asie-Mineure. Or, en Asie-Mineure précisément, il y avait encore
quelques rois indépendants, mais si effrayés de la p. 72puissance romaine
qu'ils en étaient «comme stupides», pour me servir de l'expression
énergique d'un écrivain du XVIIIe siècle, Montesquieu. C'étaient «des
rois en peinture», comme dit Corneille lui-même.
L'un d'eux, Prusias, roi de Bithynie, se trouvait dans l'état que voici:
sa femme, Arsinoé, était dévouée aux Romains et leur instrument en
Bithynie; son fils, Attale, avait été élevé à Rome, comme otage, pour
devenir plus tard une espèce de lieutenant des Romains en Bithynie sous
le nom de roi; Prusias lui-même avait été forcé de livrer aux Romains
leur vieil ennemi Annibal, qui s'était réfugié auprès de lui.
Voilà sans doute de mauvais modèles à nous proposer. Mais heureusement
Prusias, d'un précédent mariage, a un autre fils, le vaillant Nicomède,
qui est tout le contraire de son père et de sa belle-mère Arsinoé. Il y
a aussi à la cour de Prusias sa pupille, Laodice, reine d'Arménie, qui a
le caractère aussi haut et aussi généreux que Nicomède.
Ces deux jeunes gens sont les ennemis des Romains et savent parler d'une
façon hautaine à leur ambassadeur Flaminius. Arsinoé, de concert avec
Flaminius, cherche à faire tomber Nicomède dans un piège. Elle forme un
complot contre lui, l'accuse de trahison auprès de Prusias, qui l'écoute
trop; et Nicomède, malgré toutes les victoires qu'il a p. 73remportées,
accusé par Arsinoé, chargé par Flaminius, vu avec défiance par son père,
est comme traqué de toutes parts.
C'est plaisir de voir comme il tient tête de tous les côtés. A Arsinoé,
sa belle-mère, il répond avec une fierté magnifique. Lui, traître et
fourbe! Allons donc!
Vous ne savez que trop qu'un homme de ma sorte,
Quand il se rend coupable, un peu plus haut se porte;
Qu'il lui faut un grand crime à tenter son devoir...
S'il faut grâce pour moi, choisissez de mes crimes.
Les voilà tous, madame, et si vous y joignez
D'avoir cru des méchants par quelque autre gagnés,
D'avoir une âme ouverte, une franchise entière,
Qui, dans leur artifice, a manqué de lumière,
C'est gloire et non pas crime à qui ne voit le jour
Qu'au milieu d'une armée, et loin de votre cour,
Qui n'a que la vertu de son intelligence,
Et vivant sans remords, marche sans défiance.
A Flaminius, l'ambassadeur romain, Nicomède montre un visage intrépide,
au moment même où son père l'abandonne et le livre à ces Romains si
puissants et si terribles: «De quoi se mêle Rome?» s'écrie-t-il, «où
prend-elle le droit d'imposer ses volontés au roi de Bithynie?»—«Ce
sont là les leçons d'Annibal», réplique Flaminius; Nicomède répond
froidement:
Annibal m'a surtout laissé ferme en ce point
D'estimer beaucoup Rome, et ne la craindre point.
On me croit son disciple, et je le tiens à gloire,
Sous les lois du plus jeune on vit marcher l'aîné.
Les bords de l'Hellespont, ceux de la mer Egée,
Les restes de l'Asie à nos côtés rangée,
Offrent une matière à son ambition...
Nicomède, en présence de Prusias, son père,
brave Flaminius, ambassadeur de Rome. (Nicomède.) P. 76-77.
Flaminius le prend de haut à son tour. Rome est puissante, et pourrait
bien ne pas permettre au jeune prince de lâcher ainsi la bride à ses
projets aventureux—Nicomède ne répond qu'avec plus de fermeté:
Attale, qui vient d'arriver de Rome, ne connaît pas son frère Nicomède;
il le rencontre avec Laodice, et l'entendant parler sans ménagement des
Romains, lui dit: «Prenez garde! Rome peut tirer vengeance de vos propos
sur elle.»
NICOMÈDE.
Rome, seigneur!
ATTALE.
Oui, Rome; en êtes-vous en doute?
NICOMÈDE.
Seigneur, je crains pour vous qu'un Romain vous écoute;
Et si Rome savait de quels feux vous brûlez,
Bien loin de vous prêter l'appui dont vous parlez,
Seigneur, si j'ai raison, qu'importe à qui je sois?
Perd-elle de son prix pour emprunter ma voix?
Vous-même, amour à part, je vous en fais arbitre.
Ce grand nom de Romain est un précieux titre,
Et la reine et le roi l'ont assez acheté
Pour ne se plaire pas à le voir rejeté,
Puisqu'ils se sont privés, pour ce nom d'importance,
Des charmantes douceurs d'élever votre enfance.
Dès l'âge de quatre ans ils vous ont éloigné;
Jugez si c'est pour voir ce titre dédaigné,
Pour vous voir renoncer, par l'hymen d'une reine,
A la part qu'ils avaient à la grandeur romaine.
Prusias enfin, excellent homme, mais très faible, cherche à ramener son
fils à des sentiments de douceur et de résignation. Sans perdre un
instant le respect qu'il lui doit, Nicomède lui fait sentir la grandeur
du rôle qu'il oublie, et les hauts devoirs que le titre de roi lui
impose.
PRUSIAS.
Nicomède, en deux mots, ce désordre me fâche.
Quoi qu'on t'ose imputer, je ne te crois point lâche.
Cependant Arsinoé vient à bout de ses mauvais desseins. Nicomède est
arrêté, enchaîné. Flaminius va le jeter sur un vaisseau qui est tout
prêt, et l'emmener à Rome.
Mais le peuple, qui adore Nicomède, qui ne veut pas d'Attale pour «roi
en peinture» et des Romains pour maîtres, le peuple se révolte, cerne le
palais. Prusias, Arsinoé sont pâles de terreur. Laodice, qui est, elle
aussi, aimée du peuple à cause de sa haine pour Rome, les prend
généreusement sous sa protection. Mais Nicomède, qu'est-il devenu? Il a
été sauvé. Au moment où on l'entraînait vers le vaisseau de Flaminius,
un inconnu, suivi de quelques amis, s'est élancé, a poignardé le chef
des gardes qui l'emmenaient, a mis en fuite les autres, a calmé la
sédition en montrant au peuple Nicomède sauvé. Quel est cet inconnu?
C'est Attale, le faible et insignifiant Attale, à qui nous n'avons guère
pris garde jusqu'à présent, qui a même été traité de très haut par
Nicomède, mais qui, à écouter les mâles paroles de son grand frère, a
senti peu à peu le noble désir de rivaliser de vaillance avec lui et
même de le vaincre en générosité. Il se découvre comme sauveur de
Nicomède, et celui-ci le remercie avec la chaleur généreuse qui lui est
habituelle:
Mon frère, avec mes fers vous en briserez bien d'autres,
Ceux du roi, de la reine, et les siens et les vôtres.
Mais pourquoi vous cacher en sauvant tout l'Etat?
ATTALE.
Pour voir votre vertu dans son plus haut éclat;
Pour la voir seule agir contre notre injustice,
Sans la préoccuper par ce faible service,
Et me venger enfin ou sur vous ou sur moi,
Si j'eusse mal jugé de tout ce que je voi.
Et remarquez ce que peut la fermeté de cœur, et l'autorité que donne
à un vaincu, presque à un captif, la dignité, la noblesse d'une
courageuse attitude. Ce Nicomède est à la fin de la pièce comme le chef
et le maître. Attale s'est fait son élève et son partisan. Arsinoé
s'humilie devant lui; Prusias proclame «qu'avoir un fils si grand est sa
plus grande gloire»; Flaminius lui-même lui parle avec respect. C'est
qu'il n'y a rien qui impose comme le courage, comme p. 84l'âme énergique et
obstinée qui espère contre toute espérance, et pour tout dire d'un mot,
comme la volonté. C'est un homme du temps de Corneille, et qui
l'admirait fort, qui a dit: «Rien n'est impossible: il y a des voies qui
conduisent à toutes choses; et si nous avions assez de volonté, nous
aurions toujours assez de moyens»[36].
La noblesse de cœur chez les hommes est chose admirable; elle est
plus touchante encore et plus vénérable chez les femmes. Vous l'avez
déjà vu par cette fière et courageuse Chimène. Cela éclate encore mieux
par la simple histoire de Cornélie, qui est contenue dans la tragédie de
Pompée. Cette tragédie devrait avoir pour titre «La Veuve de
Pompée». Remarquez un instant comment Corneille a compris, d'ordinaire,
la grandeur de la femme. Les hommes sont grands par leur dévouement à
une grande idée ou à un grand sentiment. Tels Rodrigue, Horace, Auguste,
Polyeucte, Nicomède. Les femmes sont grandes par le dévouement à la
famille, par leur culte religieux de la maison où elles sont nées, ou de
celle où elles sont entrées. La grandeur de Chimène est dans le
dévouement à la mémoire de son père. La grandeur de Cornélie, veuve de
Pompée, est dans son culte pour le souvenir de son époux.
Corneille, au moins dans ces deux pièces, et dans le rôle de Pauline
aussi, a bien compris que p. 86les pensées de la fille ou de la femme
doivent toujours se ramener au foyer, dont la femme est la gardienne,
l'ornement et l'honneur, que hors de là, et s'attachant à un autre
objet, la grandeur chez elles aurait quelque chose de forcé et peut-être
de faux. Ce rôle de Cornélie est donc une chose très belle et très
imposante. Et voyez comme les convenances y sont bien observées. Il ne
convient pas qu'une femme ait un rôle bruyant et éclatant; il ne
convient pas, pour dire la chose comme elle est, qu'elle parle beaucoup.
A ce compte, il ne faudrait pas de rôle de femmes dans les comédies.
Faites attention pourtant. Une jeune fille dans sa famille, une femme à
côté de son mari doit parler peu. Mais qu'une jeune fille dont le père
est mort agisse et parle pour défendre et venger sa mémoire; cela est
bien, et c'est le rôle de Chimène. Qu'une jeune femme dont le mari a
commis une noble imprudence agisse et parle pour le sauver, et quand il
est mort, pour l'honorer en l'imitant; cela est beau, et c'est le rôle
de Pauline. Qu'une veuve agisse et parle pour défendre, faire respecter
et faire craindre la mémoire de son mari; cela est touchant, et c'est le
rôle de Cornélie. L'âme du Comte est passée dans celle de Chimène, celle
de Polyeucte dans celle de Pauline, et celle de Pompée dans celle de
Cornélie; et ce sont ces p. 87grandes ombres qui parlent par la bouche de
ces nobles femmes. La noblesse de la femme est de s'appuyer sur le chef
de famille, ou sur sa mémoire, et de porter dignement son nom, ou son
souvenir.
Ce Pompée était un grand général romain, du temps des guerres civiles
qui ont désolé la république romaine. Il avait été vaincu par son rival
César, et avait cherché un asile en Egypte. Le roi de ce pays, qui était
un scélérat, l'avait fait mettre à mort, pour flatter le ressentiment de
César. Mais César avait des sentiments élevés. Quand il arrive,
Ptolomée, le roi d'Egypte, se prosterne à ses pieds et lui apprend que,
par ses soins, Pompée n'existe plus. César s'irrite et, avec le plus
accablant mépris, montre au roi toute sa lâcheté.
Que vous n'auriez pas eu pour moi plus de scrupule,
Et que, s'il m'eût vaincu, votre esprit complaisant
Lui faisait de ma tête un semblable présent?
Grâces à ma victoire, on me rend des hommages
Où ma fuite eût reçu toutes sortes d'outrages;
Au vainqueur, non à moi, vous faites tout l'honneur.
Si César en jouit, ce n'est que par bonheur.
Amitié dangereuse, et redoutable zèle,
Que règle la fortune, et qui tourne avec elle!
Mais parlez; c'est trop être interdit et confus.
Ptolomée s'excuse sur son dévouement à César. Mais ce n'est pas là le
genre de dévouement que César exige de ses vrais amis. Il reprend avec
plus d'éloquence encore:
Vous cherchez, Ptolomée, avecque trop de ruses,
De mauvaises couleurs et de froides excuses,
Votre zèle était faux, si seul il redoutait
Ce que le monde entier à pleins vœux souhaitait!
Et s'il vous a donné ces craintes trop subtiles,
Qui m'ôtent tout le fruit de nos guerres civiles,
Où l'honneur seul m'engage, et que pour terminer
Je ne veux que celui de vaincre et pardonner,
Où mes plus dangereux et plus grands adversaires,
Sitôt qu'ils sont vaincus, ne sont plus que mes frères;
Voilà un généreux, n'est-ce pas? Je le crois p. 91comme vous. Cependant
remarquez que César est à l'aise pour étaler ces beaux sentiments
maintenant qu'il n'a plus rien à redouter de son rival. Il y a une
générosité plus certaine et plus éclatante, c'est celle qui, ayant tout
à craindre et n'ayant rien à gagner, se montre cependant et jaillit du
cœur. C'est celle-là que Cornélie va nous montrer. Elle rencontre
César, et, loin de trembler devant lui, elle le brave en un magnifique
langage.
Hélas! et sous quel astre, ô ciel! m'as-tu formée,
Si je leur dois des vœux de ce qu'ils ont permis
Que je rencontre ici mes plus grands ennemis,
Et tombe entre leurs mains plutôt qu'aux mains d'un prince
Qui doit à mon époux son trône et sa province?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Car enfin n'attends pas que j'abaisse ma haine;
Je te l'ai déjà dit, César, je suis Romaine:
Et, quoique ta captive, un cœur comme le mien,
De peur de s'oublier, ne te demande rien.
Ordonne; et, sans vouloir qu'il tremble ou s'humilie,
Souviens-toi seulement que je suis Cornélie.
César répond avec beaucoup de grandeur d'âme et de noblesse à ces nobles
et fières paroles. On sent bien que cet homme parle déjà en maître du
monde, en chef illustre de ces Romains auxquels Corneille aime toujours
à prêter un cœur héroïque et un langage digne de leur cœur.
Mais voici la vraie et sublime grandeur d'âme. Un danger grave menace
César, qui l'en avertit? Cornélie! Cornélie qui est bien l'ennemie de
César, mais qui veut le combattre, le front haut, face à face,
loyalement, non en profitant de ruses et de pièges ténébreux. Elle court
à César brusquement, elle lui crie:
Va, ne perds point de temps, il presse. Adieu: tu peux
Te vanter qu'une fois j'ai fait pour toi des vœux.
Cependant Philippe, un vieux serviteur fidèle de Pompée, a retrouvé son
corps. Il lui a rendu les honneurs funèbres, comme on faisait alors,
p. 98c'est-à-dire en le brûlant sur un bûcher et en enfermant les cendres
dans une urne. Il apporte cette urne à Cornélie. La douleur de la veuve
éclate en accents merveilleux de regret, de ressentiment, d'amertume:
CORNÉLIE.
Mes yeux, puis-je vous croire? et n'est-ce point un songe
Qui sur mes tristes vœux a formé ce mensonge?
Te revois-je, Philippe? et cet époux si cher
A-t-il reçu de toi les honneurs du bûcher?
Cette urne que je tiens contient-elle sa cendre?
O vous, à ma douleur objet terrible et tendre,
Eternel entretien de haine et de pitié,
Restes du grand Pompée, écoutez sa moitié.
N'attendez point de moi de regrets ni de larmes;
Un grand cœur à ses maux applique d'autres charmes.
Versez dans tous les cœurs ce que ressent mon cœur.
Toi qui l'as honoré sur cette infâme rive
D'une flamme pieuse autant comme chétive,
Dis-moi, quel bon démon a mis en ton pouvoir
De rendre à ce héros ce funèbre devoir?
Cornélie tient entre ses mains l'urne qui contient les cendres de son époux, le grand Pompée. (Pompée.) P. 98-99.
Philippe raconte comment il a trouvé le corps de Pompée, son récit est
très touchant et très beau. Ce Pompée n'est plus, et cependant c'est son
souvenir illustre qui remplit toute la pièce; et voilà bien pourquoi la
pièce porte son nom.
Tout couvert de son sang, et plus mort que lui-même,
Après avoir cent fois maudit le diadème,
Madame, j'ai porté mes pas et mes sanglots
Du côté que le vent poussait encor les flots.
Je cours longtemps en vain: mais enfin d'une roche
J'en découvre le tronc vers un sable assez proche,
Où la vague en courroux semblait prendre plaisir
A feindre de le rendre et puis s'en ressaisir.
Je m'y jette, et l'embrasse, et le pousse au rivage;
Et, ramassant sous lui le débris d'un naufrage,
Je lui dresse un bûcher à la hâte et sans art,
Tel que je pus sur l'heure et qu'il plut au hasard.
Faisant passer Photin[46] par les mains d'un bourreau.
Aussitôt qu'il me voit, il daigne me connaître;
Et prenant de ma main les cendres de mon maître:
«Restes d'un demi-dieu, dont à peine je puis
Egaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis,
De vos traîtres, dit-il, voyez punir les crimes:
Attendant des autels, recevez ces victimes;
Bien d'autres vont les suivre. Et toi, cours au palais
Porter à sa moitié ce don que je lui fais;
Porte à ses déplaisirs cette faible allégeance,
Et dis-lui que je cours achever sa vengeance.»
Ce grand homme, à ces mots, me quitte en soupirant
Et baise avec respect ce vase, qu'il me rend.
Cornélie ne croit pas, ou croit peu à la sincérité des regrets de César.
Elle garde l'urne de Pompée, et, songeant que César l'a touchée avant
elle, elle s'écrie:
O soupirs! ô respect! ô qu'il est doux de plaindre
Le sort d'un ennemi, quand il n'est plus à craindre!
Qu'avec chaleur, Philippe, on court à le venger,
Lorsqu'on s'y voit forcé par son propre danger,
Et quand cet intérêt qu'on prend pour sa mémoire
Fait notre sûreté, comme il croît[47] notre gloire!
Mais le roi le veut perdre, et son rival est mort.
Sa vertu laisse lieu de douter à l'envie
De ce qu'elle ferait s'il le voyait en vie:
Pour grand qu'en soit le prix, son péril en rabat;
Cette ombre qui la couvre en affaiblit l'éclat:
L'amour même s'y mêle, et le force à combattre;
Quand il venge Pompée, il défend Cléopâtre.
Tant d'intérêts sont joints à ceux de mon époux,
Que je ne devrais rien à ce qu'il fait pour nous,
Si, comme par soi-même un grand cœur juge un autre,
Je n'aimais mieux juger sa vertu par la nôtre,
Et croire que nous seuls armons ce combattant,
Parce qu'au point qu'il est j'en voudrais faire autant.
Enfin César a triomphé du danger qu'il a couru. Le roi d'Egypte a été
tué dans une rencontre, pris au piège même qu'il a tendu. César règne
sans rivalité en Egypte comme à Rome. Il est tout-puissant. Cornélie ne
désarme pas devant le succès. Elle a pu prémunir César contre un lâche
complot; mais elle se réserve de le combattre ouvertement sur les champs
de bataille. Les restes du parti de Pompée tiennent encore en Afrique.
Elle ira les rejoindre. Elle continuera la guerre. Elle le dit en face à
César, qui est digne, du reste, d'entendre un tel langage:
Ceci n'est pas le compte de Cornélie. Ce n'est pas à Rome qu'elle veut
porter les cendres de Pompée, c'est au milieu des légions restées
fidèles au souvenir du grand général, pour continuer la guerre et
balancer encore les destins.
Je sais quelle est ta flamme et quelles sont ses forces,
Que tu n'ignores pas comme on fait les divorces,
Que ton amour t'aveugle, et que pour l'épouser
Rome n'a point de lois que tu n'oses briser:
Mais sache aussi qu'alors la jeunesse romaine
Se croira tout permis sur l'époux d'une reine,
Et que de cet hymen tes amis indignés
Vengeront sur ton sang leurs avis dédaignés.
J'empêche ta ruine, empêchant tes caresses.
Adieu: j'attends demain l'effet de tes promesses.
Et les deux grands adversaires se séparent, après avoir donné tous deux
aux peuples lâches et perfides de l'Orient un exemple et une leçon de
haute générosité et de noblesse de cœur; et l'on voit Cornélie
s'éloigner à pas lents, l'urne de Pompée dans ses bras, «étonnant encore
son ennemi victorieux de ses tristes et intrépides regards».
Vous avez lu des contes de fées, peut-être quelques histoires des Mille
et une nuits. Ce sont des merveilles inventées pour amuser les petits
enfants. Il y a toujours dans ces imaginations un peu monotones de beaux
princes qui sont changés en vilaines bêtes, ou de pauvres gens qui se
trouvent brusquement être les plus grands rois du monde, par le secours
d'une fée bienfaisante. Cela fait des changements imprévus, de brusques
métamorphoses, où l'on se récrie d'étonnement, et, parce que cela
surprend, cela amuse. N'est-il pas vrai que cela n'amuse qu'un temps, et
que ce temps n'est pas très long? On en est assez vite fatigué.
Savez-vous pourquoi? parce qu'il n'y a rien dans ces récits qui fasse
battre le cœur, rien qui nous donne ce plaisir particulier qu'on
trouve à aimer les braves gens. On dit: «Oh! Peau-d'âne qui est
princesse! Le Marchand de dattes qui est un sultan!» Mais on ne dit
guère: «Quel bon cœur que la princesse! quel homme courageux que le
marchand de dattes!»
Eh bien, pourquoi ne ferait-on pas des contes de fées où le sentiment de
l'admiration pour les beaux caractères serait éveillé en même temps que
cette agréable surprise qu'excitent les rapides changements de fortune?
Ce que je demande là, on dirait que le bon Corneille y a songé. Il a
écrit un beau conte de fées pour les petits et les grands enfants; mais
un conte de fées où les personnages sont touchants et dignes
d'admiration et de respect, où le changement de fortune, qui fait d'un
soldat un roi, est mérité, et n'est que le digne prix d'une vie de
dévouement et d'héroïsme. Il y a encore là une baguette de fée, ou
quelque chose d'approchant, pour achever l'œuvre. Mais cette
œuvre, c'est le courage personnel qui l'avait commencée, et la
première baguette magique de Don Carlos, c'est son épée.
Ce Don Carlos était ce qu'on appelle un soldat de fortune. Fils d'un
pêcheur, ou se croyant tel, il était monté de grade en grade, il était
devenu général, avait défendu l'Aragon, la Castille, contre les Maures,
qui étaient les grands ennemis des Espagnols au moyen âge, et, sans
titre, et sans nom, était devenu, par les services rendus, le premier
personnage des deux royaumes. La reine de Castille, Dona Isabelle, sans
se l'avouer à elle-même, sentait bien qu'elle ne pouvait plus sagement
faire que de le prendre pour époux. Mais une reine de Castille p. 109n'épouse
pas un fils de pêcheur, même dans les contes de fées. Elle se résignait
donc à épouser le comte Lope, ou Don Manrique, ou le marquis Alvar, tout
en regrettant de ne pouvoir choisir selon ses sympathies. C'est
justement de cette affaire du mariage de la reine qu'on délibère,
lorsqu'un incident se produit. Don Carlos, qui est présent, au moment où
la reine et les grands d'Espagne s'asseyent, voit un siège vide; il va
le prendre. On l'arrête. Pour s'asseoir devant la reine il faut être
comte ou marquis.—«Etes-vous noble, Carlos?»—Carlos répond fièrement:
Se pare qui voudra du nom de ses aïeux;
Moi je ne veux porter que moi-même en tous lieux;
Je ne veux rien devoir à ceux qui m'ont fait naître,
Et suis assez connu, sans les faire connaître.
Mais pour en quelque sorte obéir à vos lois,
Seigneur, pour mes parents je nomme mes exploits;
Ma valeur est ma race, et mon bras est mon père.
Je dirai qui je suis, madame, en peu de mots.
On m'appelle soldat: je fais gloire de l'être;
Au feu roi par trois fois je le fis bien paraître.
Don Manrique, à la fin c'est prendre trop d'audace.
Ne puis-je l'anoblir si vous n'y consentez?
DON MANRIQUE.
Oui, mais ce rang n'est dû qu'aux hautes dignités:
Tout autre qu'un marquis ou comte le profane.
DONA ISABELLE, à Carlos.
Hé bien! seyez vous donc, marquis de Santillane,
Comte de Penafiel, gouverneur de Burgos.
Don Manrique, est-ce assez pour faire seoir Carlos?
Et voilà le coup de baguette. Carlos est marquis, et comte, et
gouverneur, et peut s'asseoir. Ce n'est pas tout. La reine, qui n'a de
sympathie pour aucun des trois seigneurs qui aspirent à sa main, charge
Carlos de choisir pour elle.
Marquis, prenez ma bague, dit-elle à Carlos, et donnez-la au plus
digne. Carlos a été maltraité et insulté par les seigneurs. Il saisit
avec empressement cette occasion—De les humilier?—Point du tout. De se
battre avec eux. A peine la reine sortie, les seigneurs l'entourent, p. 112et
voici le rapide entretien qui s'échange entre eux:
DON LOPE.
Hé bien! seigneur marquis, nous direz-vous, de grâce,
Ce que pour vous gagner il est besoin qu'on fasse?
Vous êtes notre juge, il faut vous adoucir.
CARLOS.
Vous y pourriez peut-être assez mal réussir:
Quittez ces contre-temps de froide raillerie.
DON MANRIQUE.
Il n'en est pas saison quand il faut qu'on vous prie.
CARLOS.
Ne raillons ni prions, et demeurons amis.
Je sais ce que la reine en mes mains a remis;
J'en userai fort bien: vous n'avez rien à craindre;
Et pas un de vous trois n'aura lieu de se plaindre.
Je m'y rendrai sur l'heure, et vais l'attendre. Adieu.
La reine de Castille confie à Carlos sa bague pour la remettre au plus digne des trois rivaux qui se disputent sa main. (D. Sanche d'Aragon.) P. 110-111.
Quand la reine apprend ce coup de la tête chaude de Carlos, elle craint
pour lui, et le supplie de retarder de quelques jours le combat qu'il a
cherché. Pendant ce délai, elle trouvera un arrangement. C'est là un
sacrifice que Carlos a beaucoup de peine à s'imposer. Il réfléchit,
resté seul, sur son singulier destin, et il regrette son obscurité
première, où de pareilles difficultés d'honneur et de conscience lui
étaient au moins épargnées.
O ciel! je m'en souviens, et j'ose encor paraître;
Et je puis, sous les noms de comte et de marquis,
D'un malheureux pêcheur reconnaître le fils!
Honteuse obscurité, qui seule me fais craindre!
Injurieux destin qui seul me rends à plaindre!
Plus on m'en fait sortir, plus je crains d'y rentrer:
Et crois ne t'avoir fui que pour te rencontrer.
Ton cruel souvenir sans fin me persécute;
Du rang où l'on m'élève il me montre la chute.
Lasse-toi désormais de me faire trembler;
Je parle à mon honneur, ne viens point le troubler.
Laisse-le sans remords m'approcher des couronnes,
Et ne viens point m'ôter plus que tu ne me donnes.
Je n'ai plus rien à toi: la guerre a consumé
Tout cet indigne sang dont tu m'avais formé;
J'ai quitté jusqu'au nom que je tiens de ta haine....
Ainsi Corneille place Don Carlos tour à tour dans toutes les situations
où il montrera un nouveau côté de son âme, et une nouvelle forme de sa
générosité. Nous l'avons vu tout à l'heure fier de son titre de soldat,
puis hautain et superbe à venger l'injure qu'on lui fait; nous le voyons
maintenant se plaindre du pénible état d'esprit où le jette sa double
destinée d'homme obscur par le sang et p. 115important par sa gloire. Va-t-il
en arriver à maudire sa naissance, comme il semble qu'il en prend le
chemin?—Oh! non pas! Un bruit se répand par le royaume que Don Carlos
n'est pas Don Carlos, fils de pêcheur anobli par la reine; il est Sanche
d'Aragon, fils de roi, que les nécessités de la politique ont forcé de
cacher, dès sa naissance, chez un pêcheur. Les grands seigneurs
commencent à le féliciter. Il répond avec une hauteur triste:
Comtes, ces faux respects, dont je me vois surpris,
Sont plus injurieux encor que vos mépris.
Je pense avoir rendu mon nom assez illustre
Pour n'avoir pas besoin qu'on lui donne un faux lustre:
Reprenez vos honneurs où je n'ai point de part.
J'imputais ce faux bruit aux fureurs du hasard,
Et doutais qu'il pût être une âme assez hardie
Pour ériger Carlos en roi de comédie:
Mais puisque c'est un jeu de votre belle humeur,
Sachez que les vaillants honorent la valeur;
Et que tous vos pareils auraient quelque scrupule
A faire de la mienne un éclat ridicule.
Si c'est votre dessein d'en réjouir ces lieux,
Quand vous m'aurez vaincu vous me raillerez mieux:
La reine souhaiterait fort que Don Carlos fût le prince Sanche. Elle
pourrait l'épouser. Elle se flatte, et le flatte aussi de cet espoir qui
commence à poindre. Carlos repousse les suggestions de l'orgueil qui se
font sentir en son cœur. A la fois mélancolique, et fier, et modeste,
avouant qu'il serait heureux que le bruit qui court fût vrai, il se
reproche de se laisser trop complaisamment aller à y croire; voyez comme
il est beau et touchant, quand il dit à la reine d'Aragon:
Plût à Dieu qu'en mon sort je ne connusse rien!
Si j'étais quelque enfant épargné des tempêtes,
Livré dans un désert à la merci des bêtes,
Exposé par la crainte ou par l'inimitié,
Rencontré par hasard et nourri par pitié;
Mon orgueil à ce bruit prendrait quelque espérance
Que soutiennent en l'air quelques exploits de guerre,
Et qu'un coup d'œil sur moi rabat soudain à terre!
Je ne suis point don Sanche, et connais mes parents;
Ce bruit me donne en vain un nom que je vous rends.
Gardez-le pour ce prince: une heure, ou deux, peut-être,
Avec vos députés vous le feront connaître.
Laissez-moi cependant à cette obscurité
Qui ne fait que justice à ma témérité.
Cependant le bruit s'accrédite. Personne ne doute plus que Carlos ne
soit un prince déguisé longtemps, même à ses propres yeux. Tout à
coup... Encore un coup de baguette: le vieux pêcheur, père de Carlos,
arrive à la cour. Tout s'écroule. Une confidente de la reine de Castille
lui raconte ainsi cet événement:
Comment Carlos a-t-il reçu ce coup de foudre? Avec la sérénité d'un
cœur noble, et la hauteur aussi d'un homme qui sait que la vraie
noblesse s'acquiert, mieux encore qu'elle ne se transmet. Il ne rougit
que d'avoir un instant laissé séduire son cœur aux flatteurs appas de
l'ambition. Il fait en quelques traits l'histoire de sa vie; il montre
que, s'il n'est pas fils de roi, personne mieux que lui ne mériterait de
l'être.
Hé bien, madame, enfin on connaît ma naissance:
Voilà le digne fruit de mon obéissance.
J'ai prévu ce malheur, et l'aurais évité
Si vos commandements ne m'eussent arrêté.
Ils m'ont livré, madame, à ce moment funeste;
Et l'on m'arrache encor le seul bien qui me reste!
On me vole mon père, on le fait criminel!
On attache à son nom un opprobre éternel!
Je suis fils d'un pêcheur, mais non pas d'un infâme;
La bassesse du sang ne va point jusqu'à l'âme:
Et je renonce aux noms de comte et de marquis
Avec bien plus d'honneur qu'aux sentiments de fils;
Mais je vous tiens ensemble heureux au dernier point
D'être né d'un tel père et de n'en rougir point;
Et de ce qu'un grand cœur, mis dans l'autre balance,
Emporte encor si haut une telle naissance.
Mais Carlos est-il donc réellement un fils de pêcheur? Ce bruit qui
avait couru de sa grande naissance était donc faux? Vous connaissez
assez les contes de fées, mes enfants, pour prévoir que tout finira bien
par s'arranger au mieux du bonheur de tous. On retrouve, au dernier
moment, un billet du feu roi d'Aragon qui explique que Carlos est bien
Sanche, prince d'Aragon, confié tout enfant à la femme d'un pêcheur pour
le dérober aux ennemis, et que le pêcheur même l'a toujours pris pour
son fils. Carlos est roi d'Aragon et peut épouser la reine de Castille.
C'est le dernier coup de baguette, et tout le monde se retire content.
Nous surtout, qui, sous l'apparence et la forme d'une aventure
romanesque, avons eu le plaisir de voir se révéler peu à peu sous nos
yeux une grande et belle âme, tendre, fière, honnête, p. 124bonne et
généreuse, et qui ne sommes point fâchés, même par le moyen d'événements
un peu invraisemblables, que ceux qui méritent le bonheur finissent par
l'obtenir, et que ceux qui sont princes par le cœur le deviennent
aussi par le sceptre.
Avez-vous remarqué que beaucoup des histoires de Corneille finissent
bien? Il aime assez que l'homme généreux, après mille traverses, ait une
récompense dans le bonheur et la tranquillité.
Rodrigue finira par épouser Chimène, Auguste et Cinna seront réconciliés
et heureux. Les Horaces ont eu bien des malheurs; mais le dernier qu'on
craint pour eux leur est épargné. Polyeucte a la récompense céleste qui
a été sa seule ambition. Don Sanche, Nicomède sont triomphants à la fin
de la pièce.
C'est le goût naturel de Corneille, qui aime profondément les hommes de
bien qu'il met en scène et qui désire leur bonheur même ici-bas. Il
aurait été mauvais cependant que son théâtre tout entier fût entendu
ainsi. Il faut consoler les honnêtes gens; mais il ne faut pas leur
donner d'illusion, et c'est une illusion que de croire qu'en ce monde le
bonheur est toujours réservé, en fin de compte, à la vertu. Cela n'est
vrai que p. 126quelquefois, et l'homme de cœur n'y doit pas compter.
Sur quoi faut-il donc qu'il compte? Sur sa conscience, sur l'approbation
de son propre cœur, sur ces bonnes paroles qui ne font pas de bruit,
mais que nous entendons bien distinctement pourtant s'élever du fond de
nous-mêmes, quand nous avons fait quelque chose de bien.
Il peut compter aussi sur quelque chose qui est moins important, mais
flatteur encore, et touchant, sur l'admiration des gens de bien. L'homme
sent une grande douceur à être aimé de ceux qui sont bons. Il est permis
de faire le bien dans l'espoir et dans le désir que les braves gens
auront un bon souvenir de nous.
Eh bien, Corneille nous montre quelquefois des généreux qui sont
malheureux, qui succombent à leur noble tâche, qui meurent lâchement
frappés par les méchants. Il nous fait voir cela, parce que cela est
vrai, et qu'il ne faut point cacher la vérité aux hommes. Mais quand il
lui arrive de nous présenter ces tristes spectacles, il ne manque jamais
de nous montrer ces grands hommes de bien qui sont malheureux, tellement
admirés, aimés, regrettés et pleurés des personnes les plus remplies
d'honneur, qu'en vérité nous ne les trouvons plus à plaindre, mais à
envier plutôt, et bien consolés au moins dans leur infortune.
Il y met comme une délicatesse charmante qui p. 127consiste à ne faire aimer
les hommes de cœur que par des personnes bonnes et courageuses
elles-mêmes. L'affection est toujours, dans ses écrits, mêlée
d'admiration. Elle n'est presque pas autre chose que l'admiration pour
la vertu.
C'est une idée bien consolante; c'est aussi une idée vraie. Les méchants
croient aimer quelquefois, et souvent font croire qu'ils aiment. Ils
trompent, ou ils se trompent. Ne croyez ni chez vous, ni chez les
autres, à l'affection qui n'est point fondée sur l'estime. La vraie
sympathie est toujours une admiration et une estime de ce qu'on aime.
Nos semblants d'affection pour les gens indignes ne sont qu'illusion de
notre faiblesse; les sympathies apparentes des gens indignes pour nous
ne sont que piège, ou, quelquefois, effort illusoire de leurs repentirs.
Corneille a aimé la vérité. Il a peint des hommes de cœur malheureux,
parce que cela arrive. Il les a montrés aimés, et aimés par les gens de
bien qui les admirent, parce que c'est là le seul genre d'affection
véritable, et qu'à tout prendre, il n'y a ici-bas que la vertu qui soit
vraiment et profondément chérie.
C'est l'histoire de Sertorius, général romain.
Ce Sertorius était un partisan de la République, à l'époque où la
République romaine n'existait plus que de nom. Deux hommes, Sylla et
Pompée, p. 128Sylla chef suprême de Rome, Pompée alors son lieutenant,
tenaient les Romains asservis sous leur puissance. Sertorius, ne pouvant
pas défendre l'indépendance de ses concitoyens à Rome, s'était retiré en
Espagne avec ses partisans, et luttait contre Sylla et Pompée. Il
disait, pour bien marquer lui-même cette défense du pays sur une terre
étrangère:
«Rome n'est plus dans Rome; elle est toute où je suis!»
La reine d'Espagne, Viriate, aimait Sertorius, et eût désiré l'épouser.
De quelle affection l'aimait-elle? De celle que je vous disais plus
haut, d'une sympathie profonde fondée sur l'admiration de ses vertus.
Voici comment elle-même dépeignait à Thamire, sa dame d'honneur, ce
qu'elle sentait pour le grand Romain:
... Tu le connais, Thamire;
Car d'où pourrait mon trône attendre un ferme appui?
J'aime en lui ces cheveux tout couverts de lauriers,
Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,
Ce bras qui semble avoir la victoire en partage.
L'amour de la vertu n'a jamais d'yeux pour l'âge;
Le mérite a toujours des charmes éclatants.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Depuis que son courage à nos destins préside,
Un bonheur si constant de nos armes décide.
Que deux lustres de guerre[50] assurent nos climats
Contre ces souverains de tant de potentats,
Et leur laissent à peine, au bout de dix années,
Pour se couvrir de nous, l'ombre des Pyrénées.
Nos rois, sans ce héros, l'un de l'autre jaloux,
Du plus heureux sans cesse auraient rompu les coups;
Jamais ils n'auraient pu choisir entre eux un maître.
C'est de ce ton qu'elle parle à sa confidente des desseins de son
cœur.
C'est du même ton qu'elle en parle à Sertorius lui-même. Car les
honnêtes gens qui ont un sentiment noble, dédaignent les misérables
finesses, et n'ont rien à cacher de leur âme. Ils la montrent sans
déguisement et sans scrupule. C'est leur p. 130gloire et c'est leur bonheur
qu'ils n'ont point à dissimuler, parce qu'ils n'ont point à rougir.
Qui voulez-vous que j'épouse en Espagne? dit-elle à Sertorius...
Parlons net sur ce choix d'un époux.
Êtes-vous trop pour moi? suis-je trop peu pour vous?
C'est m'offrir, et ce mot peut blesser les oreilles:
Mais un pareil amour sied bien à mes pareilles;
Et je veux bien, seigneur, qu'on sache désormais
Que j'ai d'assez bons yeux pour voir ce que je fais.
Je le dis donc tout haut, afin que l'on m'entende:
Je veux bien un Romain; mais je veux qu'il commande;
Quand nous sommes aux bords d'une pleine victoire,
Quel besoin avons-nous d'en partager la gloire?
Encore une campagne, et nos seuls escadrons
Aux aigles de Sylla font repasser les monts:
Et ces derniers venus auront droit de nous dire
Qu'ils auront en ces lieux établi notre empire!
Soyons d'un tel honneur l'un et l'autre jaloux;
Et, quand nous pouvons tout, ne devons rien qu'à nous.
Voilà comme Sertorius est aimé: par une reine, en homme qui est digne
d'être roi.
Il montre en effet qu'il est digne de ces grandes affections où la
confiance, l'estime, l'admiration et la gratitude se mêlent également,
par la manière courageuse et magnanime dont il résiste aux séductions de
son ennemi, Pompée.
Pompée commande, en Espagne, l'année opposée à Sertorius. Une trêve a
été conclue entre les deux camps, et Pompée, dans une entrevue, apporte
à Sertorius des propositions d'accommodement. Pompée, à l'époque où se
passe la tragédie, est un jeune homme, général distingué, parleur habile
et artificieux. Il cherche d'abord à séduire Sertorius en le flattant,
en admirant ses grandes vertus guerrières et ses éclatants succès:
Sertorius répond de très haut, sans habiletés d'avocat et sans
précautions d'homme d'affaires. C'est bien l'homme tout à son sentiment,
qu'il connaît juste et grand, et tout au dessein qu'il a entrepris.
Vous me pourriez sans doute épargner quelque peine,
Si vous vouliez avoir l'âme toute romaine.
Mais, avant que d'entrer en ces difficultés,
Souffrez que je réponde à vos civilités.
Vous ne me donnez rien par cette haute estime
Que vous n'ayez déjà dans le degré sublime:
La victoire attachée à vos premiers exploits,
Un triomphe avant l'âge où le souffrent nos lois,
Avant la dignité qui permet d'y prétendre,
Font trop voir quels respects l'univers vous doit rendre.
Si dans l'occasion je ménage un peu mieux
L'assiette du pays, et la faveur des lieux,
Si mon expérience en prend quelque avantage,
Le grand art de la guerre attend quelquefois l'âge;
Le temps y fait beaucoup; et, de mes actions;
S'il vous a plu tirer quelques instructions,
Mes exemples un jour ayant fait place aux vôtres,
Ce que je vous apprends, vous l'apprendrez à d'autres;
Et ceux qu'aura ma mort saisis de mon emploi
S'instruiront contre vous, comme vous contre moi.
Quant à l'heureux Sylla, je n'ai rien à vous dire:
Pompée, réservé, prudent, à la fois désireux d'adoucir Sertorius, et
tout plein de la pensée de son rôle futur dans l'Etat, répond plutôt en
parlant de l'avenir que du présent. Ce qu'il veut, dit-il, c'est ménager
le pouvoir, pour se le réserver à lui-même plus tard, et, alors, n'en
user que pour le bien du peuple et le rétablissement de la liberté
romaine:
Tous mes souhaits, seigneur, sont pour la liberté;
Et c'est ce qui me force à garder une place
Qu'usurperaient sans moi l'injustice et l'audace,
Afin que, Sylla mort, ce dangereux pouvoir
Ne tombe qu'en des mains qui sachent leur devoir.
Enfin je sais mon but, et vous savez le vôtre.
Voilà un singulier moyen de servir la liberté, répond Sertorius. Vous
voulez affranchir votre pays d'un pouvoir despotique...
Mais cependant, seigneur, vous servez comme un autre;
Nous craignons votre exemple, et doutons si dans Rome
Il n'instruit point le peuple à prendre loi d'un homme;
Et si votre valeur, sous le pouvoir d'autrui,
Ne sème point pour vous lorsqu'elle agit pour lui.
Comme je vous estime, il m'est aisé de croire
Que de la liberté vous feriez votre gloire,
Que votre âme en secret lui donne tous ses vœux;
Mais si je m'en rapporte aux esprits soupçonneux,
Vous aidez aux Romains à faire essai d'un maître,
Sous ce flatteur espoir qu'un jour vous pourrez l'être.
La main qui les opprime, et que vous soutenez,
Les accoutume au joug que vous leur destinez:
Et, doutant s'ils voudront se faire à l'esclavage,
Aux périls de Sylla vous tâtez leur courage.
Pompée est un peu étonné de cette franche et directe attaque, et, en
avocat habile, il a recours à un détour ingénieux. On l'accuse d'être
tyran après l'avoir accusé d'être esclave, ou plutôt on l'accuse d'être
tyran en sous-ordre, et de commander à titre de serviteur. Mais
Sertorius lui-même ne commande-t-il point? N'est-il point un despote à
sa manière? n'exerce-t-il pas en Espagne un pouvoir absolu, comme Sylla
fait à Rome?
Pour moi, si quelque jour je suis ce que vous êtes,
J'en userai peut-être alors comme vous faites:
Jusque-là...
Sertorius se révolte. Lui, tyran! Lui, despote! Lui, un autre Sylla! le
Sylla de l'Espagne! Quelle est cette plaisante insinuation, ou cette
outrageante comparaison? Pompée attend, dit-il, le moment où lui aussi
sera maître pour décider sur le cas de Sertorius.—Mais, réplique
Sertorius,
. . . . . . Vous pourriez en douter jusque-là,
Et me faire un peu moins ressembler à Sylla.
Si je commande ici, le sénat me l'ordonne;
Mes ordres n'ont encore assassiné personne:
Je n'ai pour ennemis que ceux du bien commun;
Je leur fais bonne guerre et n'en proscris pas un.
C'est un asile ouvert que mon pouvoir suprême;
Et si l'on m'obéit, ce n'est qu'autant qu'on m'aime.
Oh! l'homme aimable que Pompée, et bien fait pour manœuvrer avec une
souplesse enveloppante dans les réunions d'hommes politiques! «Vous ne
commandez que par l'amour que vous inspirez», répond-il à Sertorius.
Mais, ajoute-t-il avec un sourire moitié flatteur, moitié railleur,
Votre pouvoir en est d'autant plus dangereux,
Qu'il rend de vos vertus les peuples amoureux,
Qu'en assujettissant vous avez l'art de plaire,
Qu'on croit n'être en vos fers qu'esclave volontaire,
C'est elle par ma voix, seigneur, qui vous en prie;
C'est Rome...
L'effet des compliments insinuants et adroits sur les caractères
énergiques et les cœurs fiers est de les enfoncer plus avant dans
leurs p. 138résistances, et de leur faire embrasser leur dessein d'une plus
forte attache.
On met en suspicion les vertus républicaines de Sertorius, et en doute
la légitimité de son pouvoir, et, en même temps, on le flatte tout haut,
par compensation de l'insulter tout bas; et encore on prononce par deux
fois devant lui ce nom de Rome qui est toute son âme, pour insinuer
qu'il a rompu les liens qui l'unissaient à elle. Il s'emporte tout franc
alors, et éclate. Qu'est-ce donc qu'on appelle Rome?
Le séjour de votre potentat?
Qui n'a que ses fureurs pour maximes d'Etat?
Rome est ici, en Espagne, avec le Sénat proscrit, les patriotes chassés,
les légions fidèles à la loi, avec Sertorius enfin.
Je n'appelle plus Rome un enclos de murailles
Que ses proscriptions comblent de funérailles:
Ces murs, dont le destin fut autrefois si beau,
N'en sont que la prison, ou plutôt le tombeau;
Mais, pour revivre ailleurs dans sa première force,
Avec les faux Romains elle a fait plein divorce;
Et comme autour de moi j'ai tous ses vrais appuis,
Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis!
Ce qui serait digne de Pompée, ce n'est pas de servir sous Sylla, ce
n'est pas de chercher à p. 139séduire Sertorius, ce serait de s'unir aux
patriotes, aux républicains, aux vrais Romains, pour briser un joug
odieux, déshonorant pour Rome, inutile et funeste au monde.
Je ne sais qu'une voie
Qui puisse avec honneur vous donner cette joie.
Unissons-nous ensemble, et le tyran est bas:
Rome à ce grand dessein ouvrira tous ses bras.
Ainsi nous ferons voir l'amour de la patrie,
Pour qui vont les grands cœurs jusqu'à l'idolâtrie;
Et nous épargnerons ces flots de sang romain
Que versent tous les ans votre bras et ma main.
Pompée, en venant pressentir Sertorius, avait une pensée de derrière la
tête, un dernier argument en réserve, comme un général a une dernière
troupe en arrière-garde qu'il ne fait donner qu'au moment suprême pour
assurer la victoire.
Cette raison décisive est une proposition de Sylla, qui a autorisé
Pompée à dire à Sertorius qu'il consentait à se démettre du pouvoir, si
Sertorius consentait à mettre bas les armes.
C'est ce que Pompée se décide enfin à dévoiler à Sertorius:
Je sais une autre voie, et plus noble et plus sûre.
S'il voyait qu'en ses lieux il n'eût plus d'ennemis.
Mettez les armes bas, je réponds de l'issue;
J'en donne ma parole après l'avoir reçue.
Si vous êtes Romain, prenez l'occasion.
Mais Sertorius aussi est général, et connaît les ruses de guerre. Il
flaire un piège, et répond froidement: Sylla doit me tromper, puisqu'il
vous a bien séduit vous-même:
Je ne m'éblouis point de cette illusion.
Je connais le tyran, j'en vois le stratagème;
Quoi qu'il semble promettre, il est toujours lui-même.
Vous qu'à sa défiance il a sacrifié
Jusques à vous forcer d'être son allié...
Pompée est battu. Il n'a plus de corps de réserve à faire donner, et
même il est forcé dans ses derniers retranchements. On lui a montré
qu'il est un peu la dupe de Sylla, et tout à fait son prisonnier. Ainsi
finit cette entrevue entre le lion et le renard.
Je vous ai cité toute cette scène, mes chers amis, d'abord parce qu'elle
est très belle, bien entendu, ensuite parce que vous entendrez dire
quelquefois que Corneille est souvent une espèce d'avocat dans p. 141ses
tragédies, qu'il y fait de grands discours, et même des discours qui
sentent le tribunal et la chicane, qu'il plaide enfin.
C'est très vrai, cela. Corneille aime à plaider envers, et plaide bien.
Mais il ne faut peut-être pas lui en faire un très grand reproche, parce
que, quand il met en présence deux de ses personnages comme deux
avocats, ce n'est pas au meilleur avocat qu'il fait gagner le procès,
c'est à la meilleure cause.
Dans la scène de tout à l'heure, le talent d'avocat, l'habileté,
l'adresse, l'amabilité insinuante, et les ressources des mouvements
tournants, c'est Pompée qui a tout cela. Sertorius va droit devant lui,
dans sa pleine franchise, et le mouvement rude et fort de sa passion
pour le bien. Et qui est battu? c'est Pompée. Qui s'en va intact, et
victorieux, et assez dédaigneux? c'est Sertorius.
Il n'est pas défendu d'être habile. Mais Corneille sait très bien que la
plus grande habileté humaine, c'est encore de penser toujours la même
chose, une fois qu'on se sent dans le vrai, et que, contre cette
obstination tranquille dans une idée juste, tout vient se briser, sans
même qu'on mette grand effort dans la résistance. Remportez souvent de
ces victoires-là.
Hélas! c'est la dernière que Sertorius aura remportée.
La vertu donne la bonne réputation toujours, la gloire quelquefois,
l'influence sur les hommes souvent, la fierté d'une bonne conscience et
la paix du cœur infailliblement. Elle ne donne pas toujours le succès
définitif. Il n'importe; et Corneille, comme je vous le disais au
commencement, a voulu justement prouver qu'il n'importe pas. Sertorius
meurt au moment du triomphe de ses idées, ou, du moins, au moment où ce
qu'il déteste le plus au monde, la tyrannie, va disparaître.
La proposition de Sylla n'était pas un piège. Sylla, réellement,
voulait abdiquer, et, de fait, on apprend qu'il abdique. Mais, en même
temps, on apprend que Sertorius a été tué. Perpenna, un de ses
lieutenants, jaloux de lui, le trahissait. Il l'a fait périr. Il vient
s'en faire honneur devant Viriate, en l'assurant qu'il a commis cette
lâcheté par amour pour elle:
PERPENNA, à Viriate.
Sertorius est mort: cessez d'être jalouse,
Madame, du haut rang qu'aurait pris son épouse,
Et n'appréhendez plus, comme de son vivant,
Qu'en vos propres Etats elle ait le pas devant.
Si l'espoir d'Aristie[53] a fait ombrage au vôtre,
C'était un grand guerrier, mais dont le sang ni l'âge
Ne pouvaient avec vous faire un digne assemblage;
Et, malgré ces défauts, ce qui vous en plaisait,
C'était sa dignité qui vous tyrannisait.
Le nom du général vous le rendait aimable;
A vos rois, à moi-même il était préférable:
Vous vous éblouissiez du titre et de l'emploi;
Et je viens vous offrir et l'un et l'autre en moi,
Avec des qualités, où votre âme hautaine
Trouvera mieux de quoi mériter une reine....
Viriate éclate en imprécations ironiques contre le misérable. Jamais
Sertorius n'a paru si grand que dans cette noble et fière louange de ses
vertus faite par celle qui l'aimait, et dans la confusion où son ennemi
reste comme accablé:
Du reste, l'assassin sera puni comme il mérite de l'être. Pompée est un
habile et un diplomate; mais il n'est pas un misérable. Il a grand
cœur et sait estimer ses ennemis. Il fait jeter Perpenna au peuple
ameuté, qui déchire le meurtrier du grand Sertorius.
En donnant cet ordre terrible mais juste, il dit, du grand ton dont il
doit parler plus tard quand il sera maître du monde:
C'est assez.
Je suis maître; je parle; allez, obéissez!
Puis, se retournant vers Viriate, désolée, mais toujours fière:
Quelque appui que son crime aujourd'hui vous enlève,
Je vous offre la paix, et ne romps point la trêve;
Et ceux de nos Romains qui sont auprès de vous
Peuvent y demeurer sans craindre mon courroux.
Viriate a une admirable réponse. Elle aimait Sertorius, et était
l'ennemie des Romains à cause de lui. Magnifique hommage à la mémoire
pure et grande de Sertorius. Sertorius mort, elle met bas les armes,
renonce à la guerre, au mariage, à tout rôle politique.
Elle vieillira, grave et triste, enveloppée dans son deuil, et n'ayant
plus d'autre entretien que le souvenir du grand patriote, du grand
proscrit, du grand vaincu. Elle se considère comme la veuve de
Sertorius, et la gardienne de sa tombe. Nous avons vu précédemment
(chap. IX) Cornélie survivant à Pompée pour faire respecter sa mémoire
et ne vivre que de son souvenir; Viriate est la Cornélie de Sertorius:
Moi, j'accepte la paix que vous m'avez offerte;
C'est tout ce que je puis, seigneur, après ma perte;
Elle est irréparable: et comme je ne voi
Ni chefs dignes de vous, ni rois dignes de moi,
Je renonce à la guerre ainsi qu'à l'hyménée;
Mais j'aime encor l'honneur du trône où je suis née.
S'il faut que sous votre ordre ainsi qu'eux je domine,
Je m'ensevelirai sous ma propre ruine;
Mais si je puis régner sans honte et sans époux,
Je ne veux d'héritiers que votre Rome, ou vous.
Vous choisirez, seigneur; ou si votre alliance
Ne peut voir mes Etats sous ma seule puissance,
Vous n'avez qu'à garder cette place en vos mains,
Et je m'y tiens déjà captive des Romains.
On est digne, quelquefois, de comprendre les sentiments qu'on est
capable d'inspirer. Pompée, qui plus tard laissera à une Cornélie le
souvenir ineffaçable de lui-même, comprend tout ce qu'il y a de noble
dans le renoncement triste et désolé de Viriate. Il s'incline devant
cette noble infortune et cette grande douleur, et répond:
Madame, vous avez l'âme trop généreuse
Pour ne pas obtenir une paix glorieuse;
A Rome l'on verra mon pouvoir abattu,
Ou j'y ferai toujours honorer la vertu.
«Honorer la vertu.» Ce n'est peut-être pas le Pompée de l'histoire qui
parle ainsi; mais c'est Corneille. Quand Corneille ne couronne pas ses
héros vertueux de gloire et de prospérité, il les couronne d'honneur et
de respect après leur mort. p. 148Comme autour de Polyeucte, martyr de sa
foi, il amenait Pauline enthousiaste et prête au sacrifice, Félix
converti et repentant, Sévère respectueux et attendri: de même sur la
tombe de Sertorius, martyr de son patriotisme, il réunit les deux
ennemis, Viriate et Pompée, l'une vouée à un deuil éternel, l'autre
respectueusement ému, dans une même pensée de regret, d'admiration, de
vénération, et d'esprit de paix.
Vous voyez ce que c'est qu'une tragédie, et comme Corneille sait en
faire une belle leçon à nous enseigner la patience, la sincérité, la
clémence, l'honneur, le patriotisme. Il était si plein de ces grandes
idées et de ces beaux sentiments que, même dans ses comédies, il a
quelquefois touché, avec autant de puissance que dans ses autres
ouvrages, ces nobles pensées. Je vous ai dit que les comédies étaient
des pièces de théâtre pour faire rire innocemment les honnêtes gens.
Corneille sait faire rire en effet; mais il déteste tant tout ce qui est
bas, que, quand il rencontre, en écrivant sa comédie, un défaut honteux,
il ne peut s'empêcher de prendre sa grande voix pour le flétrir. Ainsi
il a fait une comédie qui s'appelle le Menteur.
Il y a dans cette comédie un jeune homme, nommé Dorante, un étudiant,
qui n'est pas du tout un mauvais cœur, mais qui est léger et étourdi,
et qui aime à inventer des histoires, un peu pour p. 150s'amuser, parce qu'il
a l'imagination vive, un peu par vanité, et pour faire admirer les
étonnantes aventures par où il veut faire croire qu'il a passé. Il
arrive à Paris, et quelqu'un lui fait comprendre ce qu'est cette grande
ville où il entre:
Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.
Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés:
L'effet n'y répond pas toujours à l'apparence;
On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France;
Et parmi tant d'esprits plus polis et meilleurs,
Il y croît des badauds autant et plus qu'ailleurs.
Dans la confusion que ce grand monde apporte,
Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte;
Et dans toute la France il est fort peu d'endroits
Dont il n'ait le rebut aussi bien que le choix.
Comme on s'y connaît mal, chacun s'y fait de mise[54],
Notre jeune homme profite trop vite de ses conseils, et ne songe qu'à
«paraître» et «se faire valoir». Il raconte à ses nouvelles
connaissances une foule de brillantes affaires qui ne lui sont pas
arrivées. Il a été à la guerre et s'y est très bien conduit.
S'élançant vers les cieux, ou droites ou croisées,
Firent un nouveau jour, d'où tant de serpenteaux[57]
D'un déluge de flamme attaquèrent les eaux,
Qu'on crut que, pour leur faire une plus rude guerre,
Tout l'élément du feu tombait du ciel en terre.
Après ce passe-temps on dansa jusqu'au jour,
Dont le soleil jaloux avança le retour:
S'il eût pris notre avis, sa lumière importune
N'eût pas troublé sitôt ma petite fortune;
Mais, n'étant pas d'humeur à suivre nos désirs,
Il sépara la troupe, et finit nos plaisirs.
Pourquoi tous ces mensonges? lui demande son valet qui s'en
effraie.—Pourquoi? pour donner de soi une idée avantageuse. On serait
bien en air de cour si l'on disait tout naïvement qu'on est un étudiant
en droit qui revient de Poitiers!
Plus ils blessent l'oreille, et plus leur semblent rares;
Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,
Vedette, contrescarpe, et travaux avancés:
Sans ordre et sans raison, n'importe, on les étonne;
On leur fait admirer les baies qu'on leur donne:
Et tel, à la faveur d'un semblable débit,
Passe pour homme illustre, et se met en crédit.
Voilà notre homme, et comme il dirige sa vie dans la ville nouvelle
qu'il veut éblouir. Il n'y a pas grand mal, on peut le dire, tant qu'il
débite ces sornettes à des jeunes gens aussi fous que lui. p. 154Mais prenez
garde: ce qu'il y a de mauvais dans les mensonges, même désintéressés,
et dans les paroles en l'air, c'est qu'on prend l'habitude de dire des
faussetés, et qu'on en dit ensuite même dans les circonstances graves,
même aux personnes à qui l'on doit respect, même à son père.
Dorante, le Menteur, raconte faussement à son père qu'il est marié. (Le Menteur.) P. 154-155.
Le Menteur de la comédie de Corneille a fait un mensonge à son père.
Il lui a dit qu'il était marié. Cette fois, l'auteur change de ton, et
il met dans la bouche du vieillard offensé un des plus beaux discours
contre le mensonge qui ait été écrit: «Etes-vous gentilhomme?» demande
brusquement le père à ce fils irrespectueux.
Voilà comment Corneille savait, même dans une comédie, donner, en
passant, une leçon de respect envers les êtres vénérables, et de respect
aussi envers soi-même. Quand vous lirez les comédies, vous verrez qu'on
s'y permet d'ordinaire un peu de libertés à cet égard. Comme c'est un
ouvrage naturellement plaisant, il est admis qu'on y peut parler en
badinant des choses sérieuses. Corneille le fait lui-même. Mais
l'autorité du père, non, c'est une affaire trop grave; Corneille ne
permet pas qu'on s'en amuse, et si un jeune homme de comédie, un
étourdi, aimable d'ailleurs, pousse jusque-là la raillerie, vite il
donne au père, à ce bon bourgeois de père, très simple jusqu'à ce
moment, et très bonhomme, toute la dignité que vous avez vue chez Don
Diègue et chez le vieil Horace, parce que pour un fils, tout père, quel
qu'il soit, doit être ni plus ni moins qu'un Horace ou un Don Diègue.
CHAPITRE XIII. CORNEILLE CHEZ LUI.—VIEILLESSE ET MORT DU POÈTE.
Tel était ce Corneille, le poète en France qui a eu la plus haute idée
de l'homme, et qui en a laissé, à vingt reprises, dans ses œuvres, la
plus grande image. On l'appelait le Grand Corneille en son temps, et
Voltaire a exprimé le sentiment de la postérité en disant: «Le Grand
Corneille, ainsi nommé pour le distinguer, non de son frère, mais du
reste des hommes.»
Et cet homme, si grand en effet, ne vous imaginez pas qu'il fût vain de
ses succès et de sa gloire. Vous l'auriez vu, que vous ne l'auriez pas
distingué du plus humble et obscur bourgeois de Paris. Il était trop
humble même, timide et embarrassé dans les compagnies. Il parlait
lentement et ne savait pas faire valoir, en les lisant, ses vers
admirables.
Sa vie était celle de l'homme le plus simple et le plus ignoré, ajoutez
le plus vertueux. Il la passait au milieu de sa femme, de ses enfants,
de son frère et des enfants de celui-ci. Ce frère, Thomas Corneille,
était poète aussi, beaucoup moins p. 161distingué, et il avait quelquefois
plus de succès que lui. Jamais il n'y eut entre eux deux la moindre
lueur de jalousie, ni le moindre commencement d'inimitié. On vivait en
commun, partageant les joies et les chagrins. Quand Pierre avait besoin
d'une rime qui lui échappait, il la demandait à son frère. Il aurait pu
lui donner son génie, qu'il le lui aurait donné de bon cœur.
THOMAS CORNEILLE, FRÈRE DU GRAND CORNEILLE. P. 160-161.
La vieillesse de Corneille ne fut pas heureuse. Sans être jamais tombé
dans la misère, il était pauvre; car, dans ce temps-là, les pièces de
théâtre étaient peu payées, et les plus grands triomphes des auteurs
dramatiques rapportaient plus d'honneur que d'argent. Il vécut trop
longtemps aussi pour son bonheur. A trente ans, il avait fait dire à son
Don Diègue:
Qu'on est digne d'envie
Lorsqu'en perdant la force on perd aussi la vie;
Et qu'un long âge apporte aux hommes généreux,
Au bout de leur carrière un destin malheureux!
Il put se rappeler souvent ces beaux vers, et les appliquer amèrement à
sa propre fortune. Vieilli, et fatigué par la production incessante
d'une foule de chefs-d'œuvre, il n'avait plus, dans ses derniers
ouvrages, la même verve et la même puissance qu'autrefois.
Les idées étaient aussi grandes, mais il y avait souvent dans la
conduite et la suite de la pièce de l'obscurité et de l'embarras; et
malgré de beaux vers encore, qui semblaient éclater de temps à autre
comme des traits de feu, l'ensemble déplaisait, ou laissait froids les
spectateurs.
Entre deux tragédies, l'une médiocre, l'autre mêlée d'obscurités
pénibles et d'éclairs de génie, Corneille se reposait, se consolait
peut-être, à des œuvres où les deux passions de sa vie, la piété et
l'amour des vers, trouvaient une égale satisfaction. Il mettait en vers
l'Imitation de Jésus-Christ.
Il y a dans ce livre, traduit par Corneille, des vers admirables encore,
comme il faudrait en apprendre beaucoup, pour les réciter dans les
moments de découragement ou de peine. Voyez ceux-ci, comme ils sont
tendres et forts, et semblent prendre le cœur pour l'enlever bien
haut, loin des ennuis et des bassesses:
Pour t'élever de terre, homme, il te faut deux ailes:
La pureté de cœur et la simplicité.
Elles te conduiront avec facilité
Jusqu'à l'abîme heureux des clartés éternelles!
Corneille faisait des vers de circonstance, pour p. 163ses amis, pour les
gens qu'il estimait ou honorait. En voici qu'il fit pour le tombeau
d'une personne charitable et sainte, assez obscure. Mais tout ce qu'il
touche en devient grand.
EPITAPHE D'ELISABETH RANQUET.
Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
Passant; ce lit funèbre est un lit précieux,
Où gît d'un cœur tout pur la cendre toute pure;
Mais le zèle du cœur est encore en ces lieux.
Avant que de payer ses droits à la nature,
Son âme, s'élevant au-dessus de ses yeux,
Avait au créateur uni la créature,
Et, marchant sur la terre, elle était dans les cieux.
L'humilité, la peine, étaient son allégresse.
Les pauvres bien mieux qu'elle, ont connu sa richesse,
Et son dernier soupir fut un soupir d'amour.
Passant, qu'à son exemple un beau feu te transporte,
Et, loin de la pleurer d'avoir perdu le jour,
Crois qu'on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.
Mais le goût du public n'était plus autant à Corneille. Les hommes de
son temps, dont je vous p. 164ai indiqué le caractère hardi, noble, et porté
aux grandes aventures, n'existaient plus. Leurs fils n'étaient point des
efféminés, tant s'en faut; mais cependant ils préféraient, au théâtre,
des pièces plus tendres, plus de douceur et d'amabilité que de grandeur
et d'héroïsme. Ajoutez que, juste au moment où Corneille faiblissait, un
autre grand poète, Jean Racine, était dans toute la vigueur de son génie
et tout l'éclat de son succès.
Tout cela fit à Corneille une fin de carrière pénible. Il avait bon
besoin pour vivre de sa pension du roi, qu'il avait bien gagnée, et qui
lui était servie depuis de longues années. Dans les derniers temps de sa
vie, cette ressource vint à lui manquer. Les malheurs de la France à
cette époque forçaient le trésor à faire des économies, et l'on avait
supprimé la pension, ou l'on en avait retardé le paiement. Un bon poète
du temps, Boileau, qui était très honnête homme, mais qui n'aimait point
passionnément Corneille, étant ami particulier de Racine, apprit que
Corneille ne recevait plus sa pension. Il en fut indigné et navré, et,
quoique n'étant pas des amis de Corneille, il court à Versailles, où
étaient le roi et les ministres, parle aux ministres, se jette aux pieds
du roi: «On n'a pas d'argent! s'écrie-t-il. Si, on en a! On a ma
pension, à moi; qu'on la donne à Corneille, au grand Corneille; moi, je
m'en p. 165passerai». On rendit enfin sa pension au pauvre vieux poète.
C'est là un trait touchant et charmant. Il prouve combien est grande la
bonne influence des génies comme celui de Corneille sur les cœurs.
Corneille ne se borne pas à peindre dans ses ouvrages des actes de
générosité; il ne réussit pas seulement à les faire admirer; il en
inspire. C'est l'honneur des hommes de génie qui sont des hommes de
grand cœur; c'est aussi leur récompense.
CORNEILLE MEURT. HONNEURS QU'ON LUI REND.
Corneille ne jouit pas longtemps de ce retour de faveur, ou plutôt de
cet acte de réparation. Il mourut le 1er octobre 1684, à l'âge de 78
ans. L'Académie française, dont il faisait partie depuis 1647, se
conduisit en cette circonstance avec beaucoup de délicatesse. Elle
nomma, pour lui succéder, Thomas Corneille, son frère, celui que Boileau
appelait un cadet de Normandie, et elle chargea Racine de prononcer
l'éloge de son ancien rival. Racine le fit en des termes d'une rare
élévation, et l'éloge de Corneille par Racine est une des plus belles
pages qui soient dans la prose française. Vous le lirez tout entier plus
tard. En voici du moins quelques lignes:
«.... Où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands
talents, tant d'excellentes parties, l'art, la force, le jugement,
l'esprit? Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets! Quelle
gravité dans les sentiments! Quelle dignité et en même temps quelle
prodigieuse variété dans les caractères! Parmi tout cela une
magnificence d'expressions proportionnée aux maîtres du monde qu'il fait
souvent parler; capable néanmoins de l'abaisser quand il veut, et de
descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore
inimitable... Personnage véritablement né pour la gloire de son pays...
Aussi, lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des
victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront
notre siècle l'admiration des siècles à venir, Corneille, n'en doutons
point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles.... Il
aimait, il cultivait les exercices de l'Académie: il y apportait surtout
cet esprit de douceur, d'égalité, de déférence même, si nécessaire pour
entretenir l'union dans les compagnies. L'a-t-on jamais vu se préférer à
aucun de ses confrères? L'a-t-on jamais vu vouloir tirer aucun avantage
des applaudissements qu'il recevait dans le public? Au contraire, après
avoir paru en maître, et, pour ainsi p. 167dire, régné sur la scène, il
venait, disciple docile, chercher à s'instruire dans nos assemblées, et
laissait ses lauriers à la porte de l'Académie......»
La postérité, comme le disait Racine, a ratifié le jugement de ses
contemporains sur Corneille. Elle a même été plus loin qu'eux. Nous
avons pour notre vieux poète une de ces admirations qui tiennent du
respect et notre culte envers lui ne s'est jamais refroidi. Les hommes
de son temps l'ont appelé le Grand Corneille. Nous lui avons conservé
ce titre, et nous y avons ajouté quelque chose qui est peut-être plus
flatteur encore.
Quand nous nous trouvons en présence d'un grand homme de bien, au
cœur vaillant et ferme, dédaigneux des périls, et ne se souciant que
de sa conscience, nous disons de lui que c'est un héros de Corneille.
Quand nous lisons ou entendons une grande parole, pleine de fierté,
vigoureuse et franche, nous disons que c'est un mot cornélien, une
phrase cornélienne, un vers cornélien.
Voilà le plus grand honneur peut-être qu'un homme puisse acquérir:
laisser son nom dans la langue de son pays avec une signification telle
que p. 169ce qu'il y a de plus élevé et de meilleur dans l'âme humaine ne se
puisse exprimer que par ce mot. C'est un honneur pour l'homme, c'est un
honneur aussi pour le pays. Il ne faut pas désespérer d'un peuple qui a
produit des Corneilles, et qui n'a jamais cessé de les admirer. Il a
conservé quelque chose de leur mâle génie, de leur cœur héroïque et
simple. Corneille est Français; la France aussi est cornélienne.
FIN.
Notes:
[1]Sans tirer ma raison, c'est-à-dire sans demander raison
de l'outrage reçu.
[3]Alfange.—Mot espagnol et portugais signifiant
cimeterre ou sabre très recourbé. Au temps de Corneille, la langue
espagnole était très en usage en France, et ce mot, sans doute, assez
usité, ou, tout au moins, compris de tout le monde. Aucun autre auteur
que Corneille ne l'a employé.
[8]N'ayant plus où se prendre.—Ne sachant plus à quoi
s'attacher.
[9]Sylla.—Célèbre général romain qui s'était fait maître
dans Rome avec beaucoup de cruautés et de sang répandu. Vous le
retrouverez dans la tragédie de Corneille intitulée: Sertorius. (Voir
plus loin, p. 125)
[10]César.—Le fondateur de l'Empire à Rome. Auguste
l'appelle: mon père, parce que César l'avait adopté.
[11]Agrippe. Agrippa, lieutenant d'Auguste et son principal
ministre dans les commencements de son gouvernement.—Mécène. Ami et
ministre aussi d'Auguste.
[16]Pérouse. Ville de l'Italie Centrale, qu'Octave avait
fait dévaster pendant les guerres civiles.
[17] L'hydre était un serpent fabuleux, à sept têtes; à
chaque tête coupée, une autre tête renaissait.—Le mot hydre est pris
ici au sens figuré.
[18]Brute. Brutus, un des meurtriers de César, le père
adoptif d'Auguste.
[19]Maxime, ami de Cinna, et conjuré comme lui. C'est à lui
et à Cinna qu'Auguste avait confié son dessein de quitter le pouvoir,
ainsi que nous l'avons dit plus haut.
[20] Fille du tuteur d'Auguste et dont Cinna est amoureux.
[21] Dans le paganisme, la statue du dieu était toujours
tournée vers l'occident, d'où il suit que le prêtre, pour l'adorer,
assurait son aspect (son regard) vers l'orient.
[22] Jupiter était le roi des dieux dans la religion des
païens.
[23]Oyez est l'impératif du verbe ouïr, qui signifie
entendre, écouter.
[24] Peuple d'Orient qui habitait le pays formant maintenant la
Russie méridionale, et qui était à cette époque en guerre avec les
Romains.
[25] Favori de l'empereur Décie qui se trouve en Arménie en ce
moment. C'est surtout lui que Félix redoute; c'est parce qu'il le craint
qu'il se décide à frapper son gendre Polyeucte.
[28]Annibal.—Célèbre général Carthaginois qui conquit
l'Italie, fut sur le point de prendre Rome, et tint les Romains dans les
plus grands dangers pendant vingt ans.
[29] Annibal, traqué par les Romains, s'était empoisonné pour
n'être pas livré à eux.
[32]Scipion l'Africain, général Romain, qui fut le vainqueur
d'Annibal, s'était résigné à n'être que le lieutenant de son frère,
général obscur, dans une guerre en Asie.
[33] C'est près du lac de Trasimène, dans l'Italie
septentrionale, qu'Annibal avait vaincu le père de Flaminius.
[36] La Rochefoucauld. Il a écrit au XVIIe siècle des
Maximes ou sentences morales, un peu tristes et amères, mais souvent
d'une grande vérité et d'un style net et concis.
[40]Crasse.—Crassus (Licinius) avait été triumvir (un des
trois chefs de Rome) avec César et Pompée. Il mourut dans une grande
bataille contre les Parthes (Asie), où périrent trente mille Romains.
Cornélie avait épousé Pompée un an après la mort de Crassus.
[41] C'est-à-dire la victoire de Pharsale. Pharsale était en
Thessalie.
[58] Noms de jurisconsultes; les ouvrages cités aux vers
précédents sont des ouvrages de droit.
[59]Homme à paragraphe.—Homme qui cite l'article et le
paragraphe où se trouve un texte de loi sur lequel il s'appuie.
[60] Généraux de l'empereur d'Allemagne Ferdinand III, pendant
la guerre de Trente ans, qui n'était pas encore terminée quand
Corneille écrivit ces vers.
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORNEILLE EXPLIQUÉ AUX ENFANTS ***
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